ir> co ^ M 4 i'^ i ^^-^ / 1 1 lin 31761 04241 e m à # ^A)' w,-:'. ■ ^''} %'>-^^ ^ ' j T**^ tV-^' o-ii oi tltc Pniuerstty of ^oroitta bu The Estate of the late G. Percival Best, Esq,. f pr^ év AwfT ' 0m M 1 ^Ê^afnf'i ll/n^C'A H i 0^^ ^ ^Ë \M. izâ^^ * ^ ' ^âSg»^;^ IM.V Ss5«î^^^«^ m^m^r\f^F^i A'^"^^^ TROISIÈME LIVRE DE F. RABELAIS Pantagruel ÉDITION JOUAUST Paris, 1876 LES CINQ LIVRES DE F. RABELAIS Livre III : Pantagruel PANURGI: WANGE SON BLE EN HEKQË îr^bclais L 3.C.2) LES CINQ. LIVRES DE F. RABELAIS PUBLIES AVEC DES VARIANTES ET UN GLOSSAIRE PAR P. CHÉRON ET ORNES DE Onze Eaux-Fortes par E. Boilvin Livre III : Pantagruel PARIS LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES Rue Saint-Honoré, 338 M DCCC LXXVl /p ■// LE TIERS LIVRE DES FAICTS ET DICTs HEROÏQUES DU BON PANTAGRUEL Composé par M. Fran. Rabelais Docteur en medicine Reveu et corrigé par l'authcur, sus la censure antique L'autheur susdict supplie les lecteurs bénévoles soy reserver à rire au soixante et dixhuytiesme Livre A PARIS De l'imprimerie de Michel Fezandat, au Mont S. Hilaire, à l'hostel d'Albret M. D. LU Avec privilège du Roy Rabelais. III. François Kabdais à l'esprit de la Koync de Navarre. ocj SPRIT abstraict, ravy et ecstatic, 'ySOpi, fréquentant les Cieulx, ton origine, P As délaissé ton hoste et domestic, ^ Ton corps concords, qui tant se morigine A tes edictz, en vie peregrine Sans sentement, et comme en apathie, Vouldrois tu poinct faire quelque sortie De ton manoir divin, perpétuel, Et ça bas veoir une tierce partie Des Faicts joyeux du bon Pantagruel? PRIVILEGE DU ROY . ENRY, par la grâce de Dieu roy de France, Jl au prevost de Paris, bailly de Rouen, senes- çcliaulx de Lyon, Tholouze, Bordeaux, Daul- a phiné, Poictou, et à tous nos autres justiciers € ^^i)^ )É et officiers, ou à leurs lieutenants, et à chas- c^^L 0 à^^i^ cun d'eulx si comme à luy appartiendra, sa- lut et dilection. De la partie de nostre cher et bien aymé M, François Rabelais, docteur en medicine , nous a esté exposé que icelluy suppliant, ayant par cy devant baillé à imprimer plusieurs livres en grec, latin, françois et thuscan, mesmement certains volumes des Faicts et Dicts héroïques de Pantagruel, non moins utiles que délectables, les imprimeurs auroient iceulx livres corrompuz , dépravez et pervertiz en plusieurs endroictz; auroient davantage imprimez plusieurs autres livres scandaleux, au nom dudict suppliant, à son grand desplaisir, préjudice et ignominie, par luy tostalement desadvouez comme faulx et supposez, lesquelz il desireroit, soubs nostre bon plaisir et volonté, supprimer. Ensemble le^ autres siens advouez, mais dépravez et déguisez, comme dict est, reveoir et corriger et de nouveau reimprimer. Pareille- ment mettre en lumière et vente la suitte des Faicts et Dicts héroïques de Pantagruel, nous humblement requérant sur ce luy octroyer nos letres à ce nécessaires et convenables. Pour ce est-il que nous, enclinans libéralement à la supplication 4 PRIVILEGE DU ROY et requeste dudict M. François Rabelais, exposant, et desi- rans le bien et favorablement traicter en cest endroit, à icel- luy, pour ces causes et autres bonnes considérations à ce nous mouvans , avons permis, accordé et octroyé, et de nostre certaine science, pleine puissance et auctorité royale, permet- tons, accordons et octroyons par ces présentes qu'il puisse et Uiy soit loysible, par tels imprimeurs qu'il advisera , faire imprimer et de nouveau mettre et exposer en vente tous et chascuns lesdicts livres et suitte de Pantagruel par luy com- posez et entreprins, tant ceulx qui ont ja esté imprimez, qui seront pour cest effect par luy reveuz et corrigez, que aussi ceulx qu'il délibère de nouveau mettre en lumière ; pareillement supprimer ceulx qui faulcement luy sont attri- buez. Et, affin qu'il ait moyen de supporter les frais néces- saires à l'ouverture de ladicte impression , avons par ces présentes tresexpressement inhibé et deffendu , inhibons et deffendons à tous autres libraires et imprimeurs de cestuy nostre royaulme, et autres nos terres et seigneuries, qu'ilz n'ayent à imprimer ne faire imprimer, mettre et exposer en vente aucuns des dessus dicts livres, tant vieux que nouveaux, durant le temps et terme de dix ans ensuivans et consecutifz, commençans au jour et dacte de l'impression desdicts livres, sans le vouloir et consentement dudict exposant, et ce sur peine de confiscation des livres qui se trouveront avoir esté imprimez au préjudice de ceste nostre présente permission, et d'amende arbitraire. Si voulons et vous mandons, et à chascun de vous en- droict soy et si comme à luy appartiendra, que nos presens congé, licence et permission, inhibitions et deffenses, vous entretenez, gardez et observez. Et, si aucuns estoient trou- vez y avoir contrevenu, procédez et faictes procéder à ren- contre d'eulx par les peines susdictes et autrement. Et du contenu cy dessus faictes ledict suppliant jouyr et user plai- nement et paisiblement durant ledict temps, à commencer et, tout ainsi que dessus est dict, cessans et faisans cesser tous troubles et empeschemens au contraire. Car tel est nostre plaisir. Nonobstant quelzconques ordonnances, res- trinctions, mandemens ou deffenses à ce contraires. Et, pour PRIVILEGE DU ROY 5 ce que de ces présentes l'on pourra avoir à faire en plusieurs et divers lieux. Nous voulons que au vidimus d'icelles, faict soubs seel royal, foy soit adjoustée comme à ce présent ori- ginal. Donné à Sainct Germain en Laye le sixiesme jour d'aoust, l'an de grâce mil cinq cens cinquante, et de nosfre règne le quatriesme. Par le Roy, le cardinal de Chaslillon praesent. Signé : DU THIER. PROLOGUE DE UAUTHEUR M. FRANÇOIS RABELAIS POUR LE TIERS LIVRE DES FAICTS ET DICTS HEROÏQUES DU BON PANTAGRUEL ONNES gens, beuveurs tresillustres et vous goutteux tresprecieux, vcistez-vous onc- ques Diogenes le philosophe cynic ? Si l'avez veu, vous n'aviez perdu la veue, ou je suis vrayement forissu d'intelligence et de sens logical. C'est belle chose veoir la clairté du — vin et escuz — soleil. J'en demande à l'aveugle ne, tant renommé par les tressacrés Bibles, lequel, ayant option de requérir tout ce qu'il vouldroit, par le commande- ment de Celluy qui est tout puissant, et le dire duquel est en un moment par effect représente, rien plus ne demanda que veoir. Vous item n'estes jeunes, qui est qualité compé- tente pour en vin, non en vain, ains plus que physi- O PROLOGUE calement philosopher, et désormais estre du conseil bacchicque, pour en lopinant opiner des substance, ■ couleur, odeur, excellence, eminence, propriété, fa- culté, vertus, effect et dignité du benoist et désiré piot. Si veu ne l'avez, comme facilement je suis induict à croire, pour le moins avez vous ouy de luy parler. Car par Vaer et tout ce ciel est son bruyt et nom jusques à présent resté mémorable et célèbre assez. Et puys vous estes tous du sang de Phrygie extraictz, ou je me abuse, et, si n'avez tant d'escuz comme avoit Midas, si avez vous de luy je ne sçay quoy, que plus jadis louoient les Perses en tous leurs otacustes, et que plus soubhaytoit l'empereur Antonin, dont depuys feut la Serpentine de Kohan surnommée Belles Au- reilles. Si nen avez ouy parler, de luy vous veulx présente- ment une histoire narrer, pour entrer en vin, — beuvez doncques, — et propous, — escoustez doncques, — vous advertissant , affînque'ne soyez en simplessepippez comme gens mescreans, qu'en son temps il feut philo- sophe rare et joyeux entre mille. S'il avoit quelques imperfections, aussi avez vous, aussi avons nous. Kien nest, sinon Dieu, perfaict. Si est-ce que Alexandre-le-Grcmd, quoy qu'il eust Aristoteles pour précepteur et domestic, l'avoit en telle estimation qu'il soubhaytoit, en cas que Alexandre ne feust, estre Diogenes Sinopicn. Qjiand Philippe, roy de Macedonie, entrcprint assiéger et ruiner Corinthe , les Corinthiens, par PROLOGUE 9 leurs espions advertiz que contre eulx il venoit en grand arroy et cxercite numereux, tous [eurent non à tort espoventez, et ne feurent negligens soy soigneuse- ment mettre chascun en office et debvoir pour à son liostile venue résister et leur ville défendre. Les uns des champs es forteresses retiroient meubles, hestail, grains, vins, fruictz, victuailles et munitions néces- saires. Les autres remparoient murailles, dressoient bas- tions, esquarroient raveU:is, cavoient fossez, escuroient contremines, gabionnoient défenses, ordonnoient plates- formes, vuidoient chasmates, rembarroient faulses brayes, erigeoient cav ailiers , ressapoient contres- carpes, enduisoient courtines, produisoient moyneaux, tcduoient parapetes, enclavoient barbacanes , asse- roient mâchicoulis', renouoient herses sarrazinesques et cataractes, assoyoient sentinelles, forissoient pa- trouilles; chascun estoit au guet, chascun portoit la hotte; les uns polissoient corseletz, vernissoient alc- cretz, nettoioient bardes, chcmfrains , aubergeons, briguandines, salades, bavieres, cappelines, guis- armes, armetz, mourions, mailles, jazerans, bras- salz, tassettes, goussetz, guorgeriz, ho guines, plastrons, lamines, aubers, pavoys, boucliers, caliges, grèves, soleretz, esprons ; les autres apprestoient arcs, fondes, arbalestes, glands, catapultes, phcdarices , micraines, potz, cercles et lances à feu, bcdistes, scorpions et autres machines bellicques repugnatoires et destruc- tives des Helepolides ; esguisoient vouges , picques , 2. lO PROLOGUE rançons, halehardcs , hanicroches, volains, lances, azes guaycs, fourches fieres, parthisanes , massues, hasches, dards, dardelles, javelines, javelotz, espieux ; affîloient cimeterres , hrands d'assier, badelaires , paffuz, espées, verduns , estocz, pistoletz, viroletz, dagues, mandousianes , poignars , cousteaulx , allu- melles, raillons. Chascun cxerceoit son penard, chascun dcsrouil- loit son hracquemard. Femme n'estoit, tant preude ou vieille feust, qui ne feist fourbir son harnoys, comme vous sçavez que les antiques Corinthienes estoient au combat couraigeuses. Diogenes, les voyant en telle ferveur mesnaige re- muer, et n'estant par les magistratz eniployé à chose auculne faire, contempla par quelques jours leur contenance sans mot dire ; puys, comme excité d'es- prit martial, ceignit son palle en escharpe, recoursa SCS manches jusques es coubtes, se troussa en cuilleur de pommes, bailla à un sien compaignon vieulx sa bezasse, ses livres et opisto graphes, feit hors la ville tirant vers le Cranie, qui est une colline et promon- toire lez Corinthe, une belle esplanade, y roulla le tonneau fîctil qui pour maison luy estoit contre les injures du ciel, et, en grande véhémence d'esprit des- ployant ses braz, le tournoit, viroit, brouilloit, bar- bouilloit, hersoit, versoit, renversoit, nattoit, grattoit, flattoit, barattoit, bastoit, boutoit, butoit, tabustoit, cullebutoit, trepoit, trempoil, tapoit, timpoit, estoup- poit, destouppoit, detraquoit, triquoioit , tripotoit. PROLOGUE II chapotoit, crouUoit, elançoit, chamailloit, bransloit, esbransloit, levait, lavoit, clavo'it, entravoit, bracquoit^ bricquoit, blocquoit, tracassoit, ramassoit, clabossoit, afestoit, affustoit, baffouoit, endouoit, amadouoit, goildronnoit , mittoimoit, tastonnoit, bimbelotoit, clabossoit, terrassoit, bistorioit, vreloppoit, chalup- poity charmait j armait, gizarmait , enharnachait, empennachait, caparassannoit ; le devalloitde mont à val, et prxcipitoit par le Cranie • pays de val en mont le rapportait, comme Sisyphiis faict sa pierre, tant que peu s'en faillit qu'il ne le defonçast. Ce voyant, quelq'un de ses amis hiy demanda quelle cause le mouvoit à son corps, son esprit, son tonneau ainsi tormenter. Auquel respandit le philo- saphe qu'à aultre office n'estcmt pour la republicque employé, il en ceste façon son tonneau tempestoit pour, entre ce peuple tant fervent et occupé, n'estre veu seul cessateur et ocieux. Je pareillement , quay que soys hors d'effray, ne suis toutesfoys hors d'esmay, de may voycmt n'estre faict aulcun pris digne d'œuvre, et considérant par tout ce tresnable royaulme de France, deçà, delà les mans , un chascun aujourd'huy say instantement exercer et travailler, part à la fortification de sa patrie et la défendre, part au repoulsement des enne- mis et les offendre, le tout en police tcmt belle, en ordonnance si mirificque, et à profit tant évident pour Vadvenir, car désormais sera France superbement bournée, seront Françoys en repous asceurez, que peu 12 PROLOGUE de chose me retient que je n'entre en l'opinion du bon Heraclitus, affermant guerre estre de tous biens père, et croye que guerre soit en latin dicte belle, non par antiphrase , ainsi comme ont cuydé certains repe- tasseurs de vieilles ferrailles latines, parce qu'en guerre gueres de beaulté ne voyoient , mais absolu- ment et simplenient par raison qu'en guerre appa- roisse toute espèce de bien et beau, soit decelée toute espèce de mal et laidure. Qii' ainsi soit , le roy saige et pacifie Salomon n'a sceu mieulx nous représenter la perfection indicible de la Sapience divine que la com- parant à l'ordonnance d'une armée en camp. Par doncques n' estre adscript et en ranc mis des nostres en partie offensive, qui me ont estimé trop imbecille et impotent; de l'autre, qui est défensive, n'estre employé aulcunement, feust-ce portant hotte, cachant crotte, ployant rotte ou cassant motte, tout m'estoit indiffèrent, ay imputé à honte plus que mé- diocre eshe veu spectateur ocieux de tant vaillans, disers et chevalereux personnaiges qui, en veue et spectacle de toute Europe, jouent ceste insigne fable et tragicque comédie, ne me esvertuer de moy-mesmes, et non y consommer ce rien mon tout qui me restoit. Car peu de gloire me semble accroistre à ceulx qui seulement y emploictent leurs ailz, au demeurant y espargnent leurs forces, cèlent leurs escuz, cachent leur argent, se grattent la teste avecques un doigt comme Landorez desgoustez, baislent aux mousches comme veaulx de disme, chauvent des aureilles PROLOGUE l3 comme asnes de Arcadie au chant des musiciens, et par mines en silence signifient qu'ilz consentent à la prosopopée. Prins ce choys et élection, ay pensé ne faire exer- cice inutile et importun si je remuois mon tonneau diogenic, qui seul m'est resté du naufrage faict par le passé on Far de Mal'encontre. A ce triballement de tonneau, que feray-je, en vostre advis ? Par la vierge qui se rebrasse, je ne sçay encores. Attendez un peu que je hume quelque traict de ceste bouteille. C'est mon vray et seul Helicon, c'est ma fontaine caballine, c'est mon unicque enthusiasme. Icy, beuvant, je délibère, je discours, je resoulz et concluds. Apres l'épilogue, je riz, j'escripz, je com- pose, je boy. Ennius beuvant escrivoit , escrivant beuvoit. jEschylus, si à Plutarche foy avez en Sym- posiacis^ beuvoit composant, beuvant composoit ; Ho- mère jamais nescrivit à jeun ; Caton jamais n'escrivit que après boyre, affin que ne me dictez ainsi vivre sans exemple des bien louez et mieulx prisez. Il est bon et frays assez, comme vous diriez sus le commencement du second degré. Dieu, le bon Dieu Sabaoth, c'est- à-dire des armées, en soit éternellement loué ! Si de mesmes vous autres beuvez un grand ou deux petitz coups en robbe, je n'y trouve inconvénient aulcun, pourveu que du tout louez Dieu un tantinet. Puys doncque que telle est ou ma sort ou ma des- tinée, car à chascun n'est oultroyé entrer et habiter Corinthe, ma délibération est servir et es uns et es 14 PROLOGUE autres; tant s'en fault que je reste cessatcur et inutile. Envers les vastadours, pionniers et rempareurs, je fcray ce que feircnt Neptune et Apollo en Troie, soubs Laoniedon ; ce que feit Renaud de Montaulban sus ses derniers jours. Je scrviray les massons , je mettray bouillir pour les massons, et, le past termine, au son de ma musette mesurcray la musarderie des musars. Ainsi fonda, bastit et édifia Amphion, son- nant de sa lyre^ la grande et célèbre cite de Thcbes. Envers les guerroyans je voys de nouveau percer mon tonneau, et de la traicte, laquelle par deux prxcedens volumes, si par l'imposture des imprimeurs n'eussent esté pervertiz et brouillez, vous feust assez congneue, leurs tirer du crcu de nos passetemps epice- naires un guallant tiercin, et consécutivement un joyeulx quart de sentences pantagruelicciucs. Par moy licite vous sera les appeler diogenicques. Et me auront, puysque compaignon ne peux estre, pour architriclin loyal refraischissant à mon petit povoir leur retour des alarmes, et laudateur, je dix infatiguable , de leurs prouesses et glorieulx faicts d'armes. Je n'y fauldray, par lapathium acutum de Dieu, si Mars ne failloit à Quaresme ; mais il s'en donnera bien guarde, le paillard ! Me souvient toutesfoys avoir leu que Ptolemc, fîlz de Lagus, quelque jour, entre autres despouilles et butins de ses conquestes, présentant aux ^Egyptiens en plain théâtre un chameau bactrian tout noir et un esclave biguarre tellement que de son corps l'une part PROLOGUE l5 cstoit noire, l'autre blanche, non en compartiment de latitude par le diaphragme, comme feut celle femme sacrée à Venus indicque, laquelle feut recongncue du philosophe Tyanien entre le fleuve Hydaspes et le mont Caucase, mais en dimension perpendiculaire, choses non encores veues en Egypte, esperoit par offre de ces nouveaultez Vamour du peuple envers soy augmenter. Qu'en advient iU A la production du chameau, tous f eurent effroyez et indignez; à la veue de l'homme biguarré, aulcuns se mocquerent , autres le abhominerent comme monstre infâme crée par erreur de nature. Somnie, V espérance qu'il avoit de complaire à ses ^Egyptiens, et par ce moyen extendre l'affection qu'ils luy portoient naturellement, luy decoulla des mains. Et entendit plus à plaisir et délices leurs estre choses belles, eleguantes et parfaictes, que ridicules et monstrueuses. Depuys , eut tant l'esclave que le chameau en mespris, si que bien toust après, par négligence et faulte de commun traictcment, fei- rent de vie à mort eschange. Cestuy exemple me faict entre espoir et craincte varier, doublant que pour contentement propensé je rencontre ce que je ahhorre : mon thesaur soit charbons ; pour Venus advieigne Barbet le chien ; en lieu de les servir, je les fasche; en lieu de les esbau- dir, je les offense; en lieu de leurs complaire, je des- plaise ; et soit mon adventure telle que du coq de Euclion, tant célébré par Plaute en sa Marmite et par Ausone en son Gryphon et ailleurs, lequel, pour l6 PROLOGUE en grattant avoir descouvert le thesaur, eut la couppe guorgée. Advenent le cas, ne seroit-ce pour chevreter? Autresfoys est il advenu, advenir encorcs pourroit. Non fera, Hercules ! Je recongnois en eulx tous une forme specificque et propriété individuale , laquelle nos majeurs nomnioient Pantagruclisme , moyennant laquelle jamais en maulvaise partie ne prendront choses quelconques; Hz congnoistront sourdre de bon, franc et loycd couraige. Je les ay ordinairement veuz bon vouloir en payement prendre, et en icel- luy acquiescer, qucmd débilite de puissance y a este associe. De ce poinct expédié, à nion tonneau je retourne. Sus à ce vin, compaings ! En fans, beuvcz à pleins guo- detz. Si bon ne vous semble, laissez le. Je ne suys de ces importuns Lifrelofres qui, par force, par oultraige et violence, contrcdgnent les Lcms et compaignons trin- quer, voire caros et alluz, qui pis est. Tout beuveur de bien, tout goutteux de bien, altérez, venens à ce mien tonneau, s'ilz ne voulcnt, ne bcuvent. S'ilz voû- tent, et le vin plaist au guoust de la seigneurie de leurs seigneuries, beuvent frcmchcment, librement, hardiment, sans rien payer, et ne Vespargnent. Tel est mon décret. Et paour ne ayez que le vin faille, comme feist es nopces de Cana en Galilée. Autant que vous en tirerez par la dille, autant en entonneray par le bondon. Ainsi demeurera le tonneau inexpui- siblc. Il a source vive et vene perpétuelle. PROLOGUE »7 Tel estait le brevaige contenu dedans la couppe de Tantalus , représenté par figure entre les saiges Brachmanes ; telle estait en Iberie la montaigne de sel, tant célébrée par Caton ; tel estait le rameau d'or sacré à la déesse soubsterraine, tant célébré par Virgile. C'est un vray Cornucopie de joyeuseté et raillerie; si quelque foys vous semble estre expuysé jusques à la lie, non pourtant sera il à sec; bon espoir y gist au fond, comme en la bouteille de Pan- dora, non desespoir, comme on bussart des Da- naïdes. Notez bien ce que j'ay dict, et quelle manière de gens je invite. Car, affin que personne n'y soit trompé, à Vexemple de Lucillius , lequel protestait n'escrire que à ses Tarentins et Consentinois , je ne l'ay perse que pour vous, gens de bien, beuveurs de la prime cuvée, et goutteux de franc alleu. Les géants Dariphages, avalleurs de frimats, ont au cul passions assez, et assez sacs au croc pour venaison; y vacquent, s'ilz voulent, ce n'est icy leur gibbier. Des cerveaulx à bourlet , grabeleurs de cor- rections, ne me parlez, je vous supplie on nom et révérence des quatre fesses qui vous engendrèrent et de la vivificque cheville qui pour lors les coupploit. Des Caphars encores moins, quoy que tous soient beuveurs oultrez, tous verollez croustelevez, guarniz de altération inextinguible et manducation insatiable. Pourquoy ? Pource qu'ilz ne sont de bien , ains de mal, et de ce mal duquel journellement à Dieu reque- Rabelais. III, 3 15 PROLOGUE rons cstre délivrez^ qiioy qu'ilz contrefacent quelques foys des gueux. Oncques vieil cinge ne feit belle moue. Arrière, mastins! hors de la quarriere ! hors de mon soleil, cahuaille au diable ! Venez vous icy cul- letans articuler mon vin et compisser mon tonneau ? Voyez cy le baston que Diogenes par testament ordonna estre prés luy posé après sa mort pour chas- ser et esrener ces larves bustuaires et mastins cerbe- ricques. Pourtant, arrière, cagotz! Aux ouailles , mastins! Hors d'icy, caphards! de par le diable, hay ! Estes vous encores là ! Je renonce ma part de papimanie, si je vous happe, g2 2. ^222 ^222222. Davant, davant! Iront Hz? Jamais ne puissiez vous fianter que à sanglades d* estrivieres , jamais pisser que à l'estrapade, jamais eschauffer que à coups de baston ! LIVRE TROISIEME CHAPITRE I Comment Pantagruel transporta une colonie de Utopiens en Dipsodie. ANTAGRUEL, avoir entièrement con- questé le pays de Dipsodie, en icelluy transporta une colonie de Utopiens en nombre de 9,876,543,210 hom- mes, sans les femmes et petitz enfans, artizans de tous mestiers et professeurs de toutes sciences libé- rales, pour ledict pays refraichir, peupler et orner, mal autrement habité et désert en grande partie. Et les transporta non tant pour l'excessive mul- titude d'hommes et femmes qui estoient en Utopie multipliez comme locustes. Vous entendez assez, 20 LIVRE III, CHAPITRE I ja besoin n'est dadventaige vous l'exposer, que les Utopiens avoient les genitoires tant féconds et les Utopienes portoient matrices tant amples, gloutes, tenaces, et cellulées par bonne architecture, que au bout de chascun neufvieme mois sept enfans pour le moins, que masles^ que femelles, naissoient par chascun mariaige : à l'imitation du peuple judaïc en ^Egypte, si de Lyra ne delyre. Non tant aussi pour la fertilité de sol, salubrité du ciel et commo- dité du pays de Dipsodie, que pour icelluy contenir en office et obéissance par nouveau transport de ses antiques et feaulx subjects, lesquelz de toute mémoire autre Seigneur n'avoient congneu, recon- gneu, advoué ne servy que luy; et lesquelz, dés lors que nasquirent et entrèrent on monde, avec le laict de leurs mères nourrices avoient pareille- ment sugcé la doulceur et debonnaireté de son règne, et en icelle estoient tousdis confictz et nourris, quiestoit espoir certain que plus tost de- fauldroient de vie corporelle que de ceste première et unicque subjection naturellement deue à leur prince, quelque lieu que feussent espars et trans- portez. Et non seulement telz seroient eulx et les enfans successivement naissans de leur sang, mais aussi en ceste féaulté et obéissance entretiendroient les nations de nouveau adjoinctes à son empire. Ce que véritablement advint, et ne feut aulcune- ment frustré en sa délibération, car, si les Utopiens avant cestuy transport avoient este feaulx et bien PANTAGRUEL 21 recongnoissans, les Dipsodes, avoir peu de jours avecques eulx conversé, l'estoient encore d'adven- taige, par ne sçay quelle ferveur naturelle en tous humains au commencement de toutes œuvres qui leur viennent à gré ; seulement se plaignoient, obtestans tous les cieulx et intelligences motrices, de ce que plus toust n'estoit à leur notice venue la renommée du bon Pantagruel. Noterez doncques icy, beuveurs, que la manière d'entretenir et retenir pays nouvellement conques- tez n'est, comme a esté l'opinion erronée de certains espritz tyrannicques, à leur dam et deshonneur, les peuples pillant, forçant, angariant, ruinant, mal vexant et régissant srvecques verges de fer; brief les peuples mangeant et dévorant, en la façon que Homère appelle le roy inique Demovore, c^est-à- dire mangeur de peuple. Je ne vous allegueray à ce propous les histoires antiques, seulement vous revocqueray en recordation de ce qu'en ont veu vos pères, et vous-mesmes, si trop jeunes n'estez. Comme enfant nouvellement né, les faultalaicter, berser, esjouir; comme arbre nouvellement planté, les fault appuyer, asceurer, défendre de toutes vimeres, injures et calamitez; comme personne saulve de longue et forte maladie, et venent à con- valescence, les fault choyer, espargner, restaurer; de sorte qu"'ilz conçoipvent en soi cette opinion n'estre on monde Roy ne Prince que moins voul- sissent ennemy, plus optassent amy. 22 LIVRE III, CHAPITRE I Ainsi Osiris, le grand roy des ^Egyptiens, toute la terre conquesta, non tant à force d'armes que par soulaigement des angaries, enseignemens de bien et salubrement vivre, loix commodes, gratieu- seté et biensfaicts. Pourtant du monde feut il sur- nommé le grand roy Evergetes, c'est-à-dire Bien- faicteur, par le commendement de Juppiter faict à une Pamyle. De faict, Hésiode, en sa Hiérarchie, colloque les bons dsemons, appeliez les, si vous voulez, Anges ou Génies, comme moyens et médiateurs des dieux et hommes, supérieurs des hommes, inférieurs des dieux. Et, pource que par leurs mains nous advien- nent les richesses et biens du ciel, et sont conti- nuellement envers nous bienfaisans, tousjours du mal nous praeservent, les dict estre en office de roys, comme bien tousjours faire, jamais mal, estant acte unicquement royal. Ainsi feut empereur de l'univers Alexandre Ma- cedon; ainsi feut par Hercules tout le continent possédé, les humains souUageant des monstres, op- pressions, exactions et tyrannies, en bon traicte- ment les gouvernant, en œquité et justice les maintenant, en bénigne police et loix convenantes à l'assiette des contrées les instituant, suppliant à ce que deffailloit, ce que abondoit avalluant, et par- donnant tout le passé, avecques oublianc.e sempi- ternelle de toutes les offenses pra^cedentes, comme estoit la Amnestie des Athéniens, lors que feurent PANTAGRUEL 23 par la prouesse et industrie de Thrasibulus les ty- rans exterminez, depuys en Rome exposée par Ciceron, et renouvellée soubs l'empereur Aurelian. Ce sont les philtres, iynges et attraictz d'amour, moienans lesquelz pacificquement on retient ce que péniblement on avoit conquesté, et plus en heur ne peut le conquérant régner, soit roy, soit prince, ou philosophe, que faisant Justice à Vertus succé- der. Sa vertu est apparue en la victoire et conquesté, sa justice apparoistra en ce que, par la volonté et bonne affection du peuple, donnera loix, publiera edictz, establira religions, feradroict à un chascun, comme de Octavian Auguste dict le noble poëte Maro : II, qui estoit victeur, par le vouloir De gens vaincuz faisoit ses loix valoir. C'est pourquoy Homère, en son Iliade, les bons princes et grands roy s appelle xocfjLYjTopaç Aawv, c'est-à-dire ornateurs des peuples. Telle estoit la considération de NumaPompilius, roy second des Romains, juste, politic et philosophe, quand il ordonna au dieu Terme, le jour de sa feste, qu'on nommoitTermma/cs,rien n'estre sacrifié qui eust prins mort, nous enseignant que les ter- mes, frontières et annexes des royaulmes convient en paix, amitié, debonnaireté, guarder et régir, sans ses mains souiller de sang et pillerie. Qui aul- trement faict, non-seulement perdera l'acquis, mais 24 LIVRE1II,CHAPITREI aussi pâtira ce scandale et opprobre, qu'on le esti- mera mal et à tort avoir acquis, par ceste consé- quence que l'acquest luy est entre mains expiré, car les choses mal acquises mal dépérissent; et ores qu'il en eust toute sa vie pacificque jouissance, si toutesfoys l'acquest dépérit en ses hoirs, pareil sera le scandale sus le defunct, et sa mémoire en malé- diction, comme de conquérant inique. Car vous dictez en proverbe commun : « Des choses mal acquises le tiers hoir ne jouira. » Notez aussi, goutteux fieffez, en cestuy article, comment par ce moyen Pantagruel feit d'un ange deux, qui est accident opposite au conseil de Char- les Maigne, lequel feit d'un diable deux, quand il transporta les Saxons en Flandre, et les Flamens en Saxe. Car, non povant en subjection contenir les Saxons, par luy adjoincts à l'empire, que à tous momens n'entrassent en rébellion, si par cas estoit distraict en Hespaigne ou autres terres loingtaines, les transporta en pays sien et obéissant naturelle- ment, savoir est Flandres; et les Hannuiers et Fla- mens, ses naturelz subjectz, transporta en Saxe, non doubtant de leur feaulté, encores qu'ilz trans- migrassent en régions estranges. Mais advint que les Saxons continuèrent en leur rébellion et obsti- nation première, et les Flamens, habitans en Saxe, embeurent les meurs et contradictions des Saxons. PANTAGRUEL 2$ CHAPITRE II Comment Panurge feut faict chastellain de Salmi- guondin en Dipsodie, et mangeait son bled en herbe. ONNANT Pantagruel ordre au gouver- nement de toute Dipsodie, assigna !a chastellenie de Salmiguondin à Panurge, valent par chascun an 6,789,106,789 royaulx en deniers certains, non comprins l'incertain revenu des hanetons et cacque- roles, montant bon an mal an de 2,485,768 à 2,435,769 moutons à la grande laine. Quelques foys revenoit 1,284^554,32 I seraphz, quand estoit bonne année de cacqueroles, et hanetons de re- queste, mais ce n'estoit tous les ans. Et se gouverna si bien et prudentement Mon- sieur le nouveau chastellain qu'en moins de qua- torze jours il dilapida le revenu, certain et incertain, de sa chastellenie pour troys ans. Non proprement dilapida, comme vous pourriez dire, en fondations de monastères, érections de temples, bastimens de collieges et hospitaulx, ou jectant son lard aux chiens, mais despendit en mille petitz bancquetzet festins joyeulx, ouvers à tous venens, mesmement tous bons compaignons, jeunes fillettes et mignon- nes gualoises. Abastant boys, bruslant les grosses souches pour 4 2b LIVRE III, CHAPITRE II la vente des cendres, prenant argent d'avance, achaptant cher, vendent a bon marché, et mangeant son bled en herbe. Pantagruel, adverti de l'affaire, n'en feut en soy aulcunement indigné, fasché, ne marry. Je vous ay jadict et encores rediz que c'estoit le meilleur petit et grand bon hommet que oncques ceigneit espée. Toutes choses prenoit en bonne partie, tout acte interpretoit à bien. Jamais ne se tourmentoit, ja- mais ne se scandalizoit. Aussi eust-il esté bien forissu du déïficque manoir de raison, si aultrement se feust contristé ou altéré, car tous les biens que le ciel couvre, et que la terre contient en toutes ses dimensions, haulteur, profundité, longitude et latitude, ne sont dignes d''esmouvoir nos affections et troubler nos sens et espritz. Seulement tira Panurge à part et doulcettement luy remonstra que, si ainsi vouloit vivre et n'estre aultrement mesnagier, impossible seroit, ou pour le moins bien difficile, le faire jamais riche. « Ri- che? respondit Panurge. Aviez-vous là fermé vostre pensée? Aviez-vous en soing pris me faire riche en ce monde? Pensez vivre joyeulx, de par li bon Dieu et li bons homs. Autre soing, autre soucy ne soit receup on sacrosainct domicile de vostre céleste cerveau. La sérénité d'icelluy jamais ne soit trou- blée par nues quelconques de pensement passe- menté de meshaing et fascherie. Vous vivent joyeulx, guaillard, dehait, je ne seray riche que trop. Tout PANTAGRUEL 27 le monde crie : « Mesnaige, mesnaige ! » Mais tel parle de mesnaige, qui ne sçayt mie que c'est. C'est de moj que fault conseil prendre. Et de moy pour ceste heure prendrez advertissement que ce qu'on me impute à vice a esté imitation des Uni- versité et Parlement de Paris, lieux esquelz con- siste la vraye source et vive idée de Pantheologie, de toute justice aussi. Heereticque qui en doubte et fermement ne le croyt. Hz toutesfoys en un jour mangent leur evesque, ou revenu de l'evesché, c'est tout un, pour une année entière, voyre pour deux aulcunes foys. C'est au jour qu'il y faict son entrée. Et n'y a lieu d'excuse, s'il ne vouloit estre lapidé sur l'instant. « A esté aussi acte desquatre vertus principales : « De Prudence, en prenent argent d'avance. Car on ne sçait qui mord ne qui rue. Qui sçayt si le monde durera encores troys ans ? Et ores qu'il durast dadventaige, est-il home tant fol qui se au- sast promettre vivre troys ans? Oncq' homme n'eut les Dieux tant bien à main Qu'asceuré feust de vivre au lendemain. « De Justice : commutative, en achapiant cher, je diz à crédit, vendant à bon marché, je diz ar- gent comptant. Que dict Caton en sa Mesnagerie sur ce propos? Il fault, dict-il, que le perefamile soit vendeur perpétuel. Par ce moyen est impos- sible qu'en fin riche ne devieigne, sitousjours dure 28 LIVRE III, CHAPITRE II l'apothecque ; dlstrihuùve, donnant à lepaistre aux bons, notez bons, et gentilz compaignons, lesquelz Fortune avoit jecté comme Ulyxes sus le roc de bon appétit, sans provision de mangeaille, et aux bonnes, notez bonnes, et jeunes gualoises, notez jeunes, car, scelon la sentence de Hippocrates^ jeu- nesse est impatiente de faim, mesmement si elle est vivace, alaigre, brusque, movente, voltigeante. Les- quelles gualoises voluntiers et de bon hayt font plaisir à gens de bien, et sont Platonicques et Ci- ceronianes jusques là qu'elles se reputent estre on monde nées non pour soy seulement, ains de leurs propres personnes font part à leur patrie, part à leurs amis; « De Force, en abastant les gros arbres, comme un second Milo, ruinant les obscures forestz, tes- nieres de loups, de sangliers, de renards, récepta- cles de briguans et meurtriers, taulpinieres de assassinateurs, officines de faulx monnoieurs, re- traites d'hgereticques, et les complanissant en clai- res guarigues et belles bruieres, jouant des haulx boys, et préparant les sièges pour la nuict du ju- gement; (' De Tempérance, mangeant mon bled en herbe, comme un hermite vivent de salades et ra- cines, me émancipant des appetitz sensuelz, et ainsi espargnant pour les estropiatz et souffreteux. Car, ce faisant, j'espargne les sercleurs, qui guain- gnent argent; les mestiviers, qui beuvent voluntiers PANTAGRUEL 29 et sans eau; les gleneurs, esquelz fault de la fouace; les basteurs, qui ne laissent ail, oignon ne escha- lotte es jardins, par l'auclorité de Thestilis Virgi- liane ; les meusniers, qui sont ordinairement larrons, et les boulangiers, qui ne valent gueres mieulx. Est-ce petite espargne? Oultre la calamité desmu- lotz, le deschet des greniers, et la mangeaille des charrantons et mourrins. De bled en herbe vous faictez belle saulce verde, de legiere concoction, de facile digestion, laquelle vous esbanoist le cer- veau, esbaudist les espritz animaulx, resjouist la veue, ouvre l'appétit, délecte le goust, assere le cœur, chatouille la langue, faict le tainct clair, for- tifie les muscles, tempère le sang, allègre le dia- phragme, refraischist le foye, desoppile la râtelle, soulaige les roignons, assouplist les reins, desgour- dist les spondyles, vuide les uretères, dilate les vases spermaticques, abbrevie les cremasteres, expurge la vessie, enfle les genitoires, corrige le prépuce, in- cruste le balane, rectifie le membre, vous faict bon ventre, bien rotter, vessir, peder, fianter, uriner, esternuer, sangloutir, toussir, cracher, vomiter, baisler, mouscher, haleiner, inspirer, respirer, ron- fler, suer, dresser le virolet, et mille autres rares adventaiges. — J'entend bien, dist Pantagruel : vous inferez que gens de peu d'esprit ne sçauroient beaucoup en brief temps despendre. Vous n'estez le premier qui ayt conceu ceste haeresie. Néron le maintenoit, 3o LIVRE m, CHAPITRE II et SUS tous humains admiroit C. Caligula, son on- cle, lequel en peu de jours avoit, par invention mi- rificque, despendu tout l'avoir et patrimoine que Tiberius luy avoit laissé. Mais, en lieu de guarder et observer les loix cœnaires et sumptuaires des Romains, la Orchie, la Fannie, la Didie, la Licinie, la Cornelie, la Lepidiane, la Antie, et des Corin- thiens, par lesquelles estoit rigoreusement à un chascun défendu plus par an despendre que por- toit son annuel revenu, vous avez faict Protervie, qui estoit entre les Romains sacrifice tel que l'ai- gneau paschal entre les juifz. Il y convenoit tout mangeable manger, le reste jecter on feu, rien ne reserver au lendemain. « Je le peuz de vous justement dire, comme le dist Caton de Albidius, lequel, avoir en excessive despense mangé tout ce qu'il possedoit, restant seulement une maison, y mist le feu dedans pour dire : Consummatum est, ainsi que depuys dist sainct Thomas d'Acquin, quand il eust la lamproye toute mangée. Cela non force. » PANTAGRUEL 3l CHAPITRE III Comment Pamirge loue les debteurs ci emprunteurs. ,Ais, demanda Pantagruel, quand se- rez-vous hors de debtes? — Es ca- lendres grecques, respondit Panurge, lors que tout le monde sera content, et que serez héritier de vous-mesmes. Dieu me garde d'en estre hors ! Plus lors ne trouverois qui un denier me prestast. Qui au soir ne laisse levain, ja ne fera au matin lever paste. Debvez-vous tous- jours à quelq'un? Par icelluy sera continuelle- ment Dieu prié vous donner bonne, longue et heu- reuse vie : craignant sa debte perdre, tousjours bien de vous dira en toutes compaignies, tousjours nouveaulx créditeurs vous acquestera, affin que par eulx vous faciez versure, et de terre d'aultruy rem- plissez son fossé. « Quand jadis en Gaulle, par l'institution des Druydes, les serfs, varlets et appariteurs estoient tout vifz bruslez aux funérailles et exeques de leurs maistres et seigneurs, n'avoient-ilz belle paour que leurs maistres et seigneurs mourussent, car ensem- ble force leurs estoit mourir? Ne prioient-ilz conti- nuellement leur grand dieu Mercure, avecq Dis, le Père aux Escuz, longuement en santé les conser- ver? N'estoient-ils soingneux de bien les traicteret servir? Car ensemble povoient-ilz vivre au moins 32 LIVRE III , CHAPITRE III jusques à la mort. Croyez qu'en plus fervente devo- ^ tion vos créditeurs priront Dieu que vivez, crain- dront que mourez, d'autant que plus ayment la manche que le braz et la denare que la vie. Tes- moings les usuriers de Landerousse, qui n'a gueres se pendirent, voyans les bleds et vins ravaller en pris, et bon temps retourner. » Pantagruel rien ne respondent, continua Pa- nurge : « Vray bot, quand bien je y pense, vous me remettez à poinct en ronfle veue, me reprochant mes debtes et créditeurs. Dea ! en ceste seule qua- lité je me reputois auguste, révérend et redoutable, que^ sus l'opinion de tous philosophes qui disent rien de rien n'estre faict, rien ne tenent, ne matière première, estoys facteur et créateur. « Avois créé, quoy? tant de beaulx et bons cré- diteurs! Créditeurs sont, je le maintiens jusques au feu exclusivement, créatures belles et bonnes. Qui rien ne preste est créature laide et mauvaise, créa- ture du grand villain diantre d'enfer. Et faict quoy ? Debtes. O chose rare et antiquaire ! Debtes, diz-je, excedentes le nombre des syllabes résultantes au couplement de toutes les consonantes avecques les vocales, jadis projecté et compté par le noble Xe- nocrates. A la numerosité des créditeurs, si vous estimez la perfection des debteurs, vous ne errerez en arithmétique praticque. « Cuidez-vous que je suis aise quand tous les matins autour de moy je voy ces créditeurs tant PANTAGRUEL 33 humbles, serviables et copieux en révérences? Et quand je note que, moy faisant à l'un visaige plus ouvert et chère meilleure que es autres, le paillard pense avoir .sa depesche le premier, pense estre le premier en date, et de mon ris cuyde que soit ar- gent content, il m'est advis que je joue encores le Dieu de la Passion de Saulmur, accompagné de ses anges et chérubins. Ce sont mes candidatz, mes parasites, mes salueurs, mes diseurs de bons-jours, mes orateurs perpetuelz. « Et pensois véritablement en debtes consister la montaigne de vertus heroïcque descripte par Hésiode, en laquelle je tenois degré premier de ma licence, à laquelle tous humains semblent tirer et aspirer; mais peu y montent, pour la difficulté du chemin, voyant au jourd'huy tout le monde en de- sir fervent et strident appétit de faire debtes et créditeurs nouveaulx. Toutesfois il n'est debteur qui veult, il ne fait créditeurs qui veult. Et vous me voulez débouter de ceste félicité soubeline ? Vous me demandez quand seray hors de debtes? « Bien pis y ha. Je me donne à sainct Babolin, le bon sainct, en cas que toute ma vie je n'aye es- timé debtes estre comme une connexion et colli- gence des cieulx et terre, ung entretenement unic- que de l'humain lignaige, je dis sans lequel bien tost tous humains periroient; estre par adventure celle grande ame de l'univers, laquelle, scelon les academicques, toutes choses vivifie. Rabelais. IIL 5 34 LIVRE III, CHAPITRE III « Qu'ainsi soit, reprgesentez-vous en esprit se- rain l'idée et forme de quelque monde; prenez, si bon vous semble, le trentiesme de ceulx queimagi- noit le philosophe Metrodorus, ou le soixante et dix huyctieme de Petron, on quel ne soit debteur ne créditeur aulcun. Un monde sans debtes ! Là entre les astres ne sera cours régulier quiconque ; tous seront en desarroy. « Juppiter, ne s'estimant débiteur à Saturne, le dépossédera de sa sphaere, et avecques sa chaine homericque suspendera toutes les intelligences, dieux, cieulx, dsemons, génies, heroes, diables, terre, mer, tous elemens; Saturne se r'aliera avec- ques Mars, et mettront tout ce monde en pertur- bation; Mercure ne vouldra soy asservir ésaultres; plus ne seraleur Camille, comme en langue hetrusque estoit nommé. Car il ne leurs est en rien debteur ; Venus ne sera vénérée, car elle n'aura rien preste; la lune restera sanglante et ténébreuse : à quel propous luy departiroit le soleil sa lumière? Il n'y estoit en rien tenu. Le soleil ne luyra sus leur terre. Les astres ne y feront influence bonne, car la terre desistoit leur prester nourrissement par va- peurs et exhalations, desquelles disdit Heraditus, prouvoient les stoïciens, Ciceron maintcnoit, estre les estoilles alimentées. « Entre les elemens ne sera symbolisation, al- ternation ne transmutation aucune, car l'un ne se reputera obligé à l'autre; il ne luy avoit rien PANTAGRUEL 35 preste; de terre ne sera faicte eau; l'eau en aer ne sera transmuée; de l'aer ne sera faict feu; le feu n'eschauffera la terre; la terre rien ne produira que monstres, Titanes, Aloïdes, Geans; il n'ypluyra pluye, n'y luyra lumière, n'y ventera vent, n'y sera esté ne automne; Lucifer se desliera, et, sortant du profond d'enfer avecques les furies, les poines et diables cornuz, vouldra deniger des cieulx tous les dieux, tant des majeurs comme des mineurs peuples. (' De cestuy monde rien ne prestant ne sera qu'une chienerie, que une brigue plus anomale que celle du recteur de Paris , qu'une diablerie plus confuse que celle des jeux de Doué, « Entre les humains l'un ne saluera l'autre; il aura beau crier : « A l'aide, au feu, à l'eau, au meurtre! » personne ne ira à secours. Pourquoi? Il n'avoit rien preste; on ne luy debvoitrien. Per- sonne n'a interest en sa conflagration, en son nau- frage, en sa ruine, en sa mort. Aussi bien ne pres- toit-il rien. Aussi bien n'eust il par après rien preste. Brief, de cestuy monde seront bannies Foy, Espérance, Charité, car les homes sont nez pour l'ayde et secours des homes. En lieu d'elles succé- deront Défiance, Mespris, Rancune, avecques la cohorte de tous maulx, toutes malédictions et tou- tes misères. '/ Vous penserez proprement que là eust Pan- dora versé sa bouteille. Les hommes seront loups 36 LIVRE III, CHAPITRE III és hommes, loups guaroiix et lutins, comme feurent Lychaon , Bellerophon , Nabugotdonosor ; bri- guans, assassineurs, empoisonneurs, malfaisans, malpensans, malveillans, haine portans ; un chascun contre tous, comme Ismaël, comme Metabus , comme Timon Athénien, qui pour ceste cause feut surnommé {j.t(7avOpto7:oç ; si que chose plus facile en nature seroit nourrir en l'aer les poissons, paistrè les cerfz on fond de l'Océan, que supporter ceste îruandaille de monde qui rien ne preste. Par ma foy, je les hays bien. « Et, si au patron de ce fascheux et chagrin monde rien ne prestant vous figurez l'autre petit monde, qui est l'homme, vous y trouverez un ter- rible tintamarre. La teste ne vouldra prester la veue de ses yeulx pour guider les piedz et les mains; les piedz ne la daigneront porter; les mains cesseront travailler pour elle; le cueur se faschera de tant se mouvoir pour les pouls des membres, et ne leurs prestera plus; le poulmon ne lui fera prest de ses souffletz ; le foye ne lui en- voyra sang pour son entretien ; la vessie ne voul- dra estre débitrice aux roignons; l'urine sera sup- primée; le cerveau, considérant ce train desnaturé, se mettra en resverie, et ne baillera sentement és " nerfz, ne mouvement és muscles. « Somme, en ce monde desrayé, rien ne deb- vant, rien ne prestant, rien ne empruntant, vous voirez une conspiration plus pernicieuse que n'a PANTAGRUEL 3y figuré JEsoipe en son apologue, et périra sans double; non périra seullement, mais bien tost pé- rira, feust-ce ^sculapius mesme, et ira soubdain le corps en putréfaction; l'ame toute indignée, prendra course à tous les diables, après mon ar- gent. » CHAPITRE IV Continuation du discours de Panurge, à la louange des presteurs et debteurs. u contraire , représentez-vous un monde autre, on quel un chascun preste, un chascun doibve, tous soient I debteurs, tous soient presteurs. O quelle harmonie sera parmy les réguliers mouve- mens des cieulz ! Il m'est advis que je l'entends aussi bien que feit oncques Platon. Quelle sympa- thie entre les elemens ! O comment Nature se y délectera en ses œuvres et productions , Ceres chargée de bleds, Bacchus de vins, Flora de fleurs^ Pomona de fruictz, Juno, en son aer serain, seraine, salubre, plaisante ! « Je me pers en ceste contemplation. Entre les humains paix, amour, dilection, fidélité, repous, banquetz, festins, joye, liesse, or, argent, menue monnoye, chaisnes, bagues, marchandises, irote- ront de main en main. Nul procès, nulle guerre, 38 LIVRE m, CHAPITRE IV nul débat; nul n'y sera usurier, nul leschart, nul chichart, nul refusant. VrayDieu ! ne sera ce l'aage d'or, le règne de Saturne, l'idée des régions olym- picques, es quelles toutes autres vertus cessent, Charité seule règne, régente, domine, triumphe . Tous seront bons, tous seront beaulx, tous seront justes. O monde heureux ! O gens de cestuy monde heureux ! O beatz troys et quatre foys ! Il m'est advis que je y suis. Je vous jure le bon Vraybis que si cestuy monde, beat monde, ainsi à un chascun prestant, rien ne refusant, eust pape foizonnant en cardinaulx, et associé de son sacré colliege, en peu d'années vous y voiriez les sainctz plus druz, plus miraclificques, à plus de leçons, plus de veuz, plus de bastons et plus de chandelles, que ne sont tous ceulx des neufz eveschez de Bretaigne, exceptez seulement sainct Ives. ((■ Je vous prie, considérez comment le noble Patelin, voulant déifier et par divines louenges mettre jusques au tiers ciel le Père Guillaume Jous- seaulme, rien plus ne dist, sinon, Et si prestoit Ses denrées à qui en vouloit, « O le beau mot ! « A ce patron figurez nostre microcosme , id est petit monde, c'est l'homme, en tous ses mem- bres, prestans, empruntans, doivans, c'est à dire en son naturel. Car Nature n'a créé l'homme que PANTAGRUEL 89 pour prester et emprunter. Plus grande n'est l'har- monie des cieux que sera de sa police. L'intention du fondateur de ce microcosme est y entretenir l'ame, laquelle il y a mise comme hoste, et la vie. La vie consiste en sang, sang est le siège de l'ame; pour tant, un seul labeur poine ce monde : c'est forger sang continuellement. En ceste forge sont tous membres en office propre, et est leur hiérar- chie telle que sans cesse l'un de l'autre emprunte, l'un à l'autre preste, l'un à l'autre est debteur. La matière et métal convenable pour estre en sang transmué est baillé par Nature : pain et vin. En ces deux sont comprinses toutes espèces des alimens. Et de ce est dict le companage en langue goth. « Pour icelles trouver, praeparer et cuire, tra- vaillent les mains, cheminent les piedz et portent toute ceste machine; les yeulx tout conduisent; l'appétit en l'orifice de l'estomach, moyenant un peu de melancholie aigrette, queluy est transmis de la râtelle, admonneste de enfourner viande ; la lan- gue en faict l'assay, les dens la maschent, l'esto- mac la reçoit, digère et chylifie; les veines mesa- raïcques en sugcent ce qu'est bon et idoine , délaissent les excremens, les quelz, par vertus expul- sive, sont vuidez hors par exprés conduictz, puys la portent au foye : il la transmue de rechef, et en faict sang. « Lors quelle joye pensez vous estre entre ces officiers, quand ilz ont veu ce ruisseau d'or, qui est 40 LIVRE III. CHAPITRE IV leur seul restaurant? Plus grande n'est la joye des alchymistes, quand, après longs travaulx, grand soing et despense, ilz voyent les metaulx trans- muez dedans leurs fourneaulx. Adoncques chascun membre se prgepare et s'esvertue de nouveau à pu- rifier et affiner cestuy thesaur. Les roignons par les venes emulgentes en tirent l'aiguosité, que vous nommez urine, et par les uretères la découlent en bas. Au bas trouve réceptacle propre, c'est la ves- sie, laquelle en temps opportun la vuide hors; la râtelle en tire le terrestre et la lie, que vous nom- mez melancholie ; la bouteille du fiel en soubstraict la cholere superflue ; puys est transporté en une autre officine pour mieulx estre affiné : c'est le cœur, le- quel, parcesmouvemensdiastolicquesetsystolicques, le subtilie et enflambe tellement que par le ventricule dextre le met à perfection, et par les venes l'envoyé à tous les membres; chascun membre l'attire à soy, et s'en alimente à sa guise : pieds, mains, yeulx, tous; et lors sont faictz debteurs, qui paravent es- toient presteurs. Par le ventricule gausche il le faict tant subtil qu'on le dict spirituel, et l'envoyé à tous les membres par ses artères, pour l'autre sang des venes eschauffer et esventer; le poulmon ne cesse avecques ses lobes et souffletz le refrais- chir : en recongnoissance de ce bien, le cœur luy en départ le meilleur par la vene arteriale ; en fin, tant est affiné dedans le retz merveilleux que par après en sont faictz les esprits animaulx, moyen- PANTAGRUEL ^^ I nans les quelz elle imagine, discourt, juge, resoust, délibère, ratiocine et remémore. « Vertus guoy ! je me naye, je me pers, je m'esguare, quand je entre on profond abisme de ce monde ainsi prestant, ainsi doibvant. Croyez que chose divine est prester : debvoir est vertus he- roïcque. « Encore n'est ce tout. Ce monde prestant, doibvant, empruntant, est si bon que, ceste ali- mentation parachevée, il pense desja prester à ceulx qui ne sont encores nez, et par prest se per- pétuer, s'il peult, et multiplier en images à soy sem- blables, ce sont enfans. A ceste fin, chascun mem- bre du plus précieux de son nourrissement décide et roigne une portion, et la renvoyé en bas : Na- ture y a praeparé vases et réceptacles opportuns, par les quelz descendent es genitoires en longs ambages et flexuositez, reçoit forme compétente, et trouve lieux idoines, tant en l'homme comme en la femme, pour conserver et perpétuer le genre humain. Ce faict le tout par prestz et debtes de l'un à l'autre : dont est dict le debvoir de mariage. « Poine par Nature est au refusant interminée, acre vexation parmy les membres, et furie parmy les sens; au prestant, loyer consigné, plaisir, alai- gresse et volupté. » 42 LIVRE III, CHAPITRE V CHAPITRE V Comment Pantagruel déteste les debteurs et em- prunteurs. 'entends, respondit Pantagruel, et me semblez bon topicqueur et af- fecté à vostre cause. Mais preschez et patrocinez d'icy à la Pentecoste, en fin vous serez esbahy comment rien ne me au- rez persuadé, et par vostre beau parler jà ne me ferez entrer en debtes. Kien, dict lesainct Envoyé, à personne ne doibveZy fors amours et dilection mu- tuelle. (( Vous me usez icy de belles graphides et dia- typoses, et me plaisent très-bien. Mais je vous diz que, si figurez un afîronteur efronté, et importun emprunteur, entrant de nouveau en une ville jà advertie de ses meurs, vous trouverez que à son entrée plus seront les citoyens en efîroy et trépida- tion que si la peste y entroit en habillement tel que la trouva le philosophe Tyanien dedans Ephese. Et suys d'opinion que ne erroient les Perses, esti- mans le second vice estre mentir^ le premier estre debvoir, car debtes et mensonges sont ordinaire- ment ralliez. « Je ne veulx pourtant inférer que jamais ne faille debvoir, jamais ne faille prester. Il n'est si pj^ntagruel 43 riche qui quelques foys ne doibve, il n'est si pauvre de qui quelques foys on ne puisse emprunter. L'oc- casion sera telle que la dict Platon en ses Loix, quand il ordonne qu'on ne laisse chés soy les voysins puiser eau, si premièrement ilz n'avoient en leurs propres pastifz foussoié et bêché jusques à trouver celle espèce de terre qu'on nomme cera- mite, c'est terre à potier, et là n'eussent rencontré source ou degout d'eaux. Car icelle terre, par sa substance, qui est grasse, forte, lize et dense, re- tient l'humidité, et n'en est facilement faict exha- lation. Ainsi est-ce grande vergouigne tousjours, en tous lieux, d'un chascun emprunter plus toust que travailler et guaingner. Lors seulement deb- vroit on, scelon mon jugement, prester, quand la personne, travaillant, n'a peu par son labeur faire guain, ou quand elle est soubdainement tumbée en perte inopinée de ses biens. « Pourtant laissons ce propos, et dorénavant ne vous attachez à créditeurs ; du passé je vous de- livre. — Le moins de mon plus, dist Panurge, en ces- tuy article sera vous remercier, et, si les remerci- mens doibvent estre mesurez par l'affection des biensfaicteurs, ce sera infiniment, sempilernelle- ment, car l'amour que de vostre grâce me portez est hors le dez d'estimation ; il transcende tout poix, tout nombre, toute mesure; il estinfiny, sem- piternel. Mais, le mesurant au qualibre des biens- 44 LIVRE III, CHAPITRE V faictz et contentement des recepvans, ce sera assez laschement. Vous me faictes des biens beaucoup, et trop plus que ne m'appartient, plus que n'ay en- vers vous deservy, plus que ne requeroient mes mérites, force est que le confesse, mais non mie tant que pensez en cestuy article. Ce n'est là que me deult, ce n'est là que me cuist et démange, car doresnavant, estant quitte, quelle contenence auray-je? Croiez que je auray maulvaise grâce pour les premiers inoys, veu que je n'y suis ne nourry ne accoustumé. Je en ay grand paour. « D'adventaige, désormais ne naistra ped en tout Salmiguondinoys qui ne ayt son renvoy vers mon nez. Tous les peteurs du monde petans disent : « Voy là pour les quittes. » Ma vie finera bien toust, je le praevoy. Je vous recommande mon epitaphe, et mourray tout confict en pedz. Si quelque jour, pour restaurant à faire peter les bon- nes femmes en extrême passion de colicque ven- teuse, les medicamens ordinaires ne satisfont aux medicins, la momie de mon paillard et empeté corps leurs sera remède praesent. En prenent tant peu que direz, elles péteront plus qu'ilz n'enten- dent. C'est pourquoy je vous prirois voluntiersque de debtes me laissez quelque centurie, comme le roy Loys unziesme, jectant hors de procès Miles d'Illiers, evesques de Chartres, feut importuné luy en laisser quelque un pour se exercer. J'ayme mieux eurs donner toute ma cacqueroliere, ensemble ma PANTAGRUEL ^5 hannetonnieie, rien pourtant ne déduisant du sort principal. — Laissons, dist Pantagruel, ce propos, je vous l'ay ja dict une foys. » CHAPITRE VI Pourquoy les nouveaidx mariés estaient exemptz d'aller en guerre. Aïs, demanda Panurge, en quelle loy estoit-ce constitué et establyque ceulx qui vigne nouvelle planteroient, ceulx qui logis neuf bastiroient et les nou- veaulx mariés seroient exemptz d'aller en guerre pour la première année? — En la loy, respondit Pantagruel, de Moses. — Pourquoy, demanda Pa- nurge, les nouveaulx mariés? Des planteurs de vi- gne je suis trop vieux pour me soucier; je acquiesce on soucy des vendangeurs, et les beaulx bastisseurs nouveaulx de pierres mortes ne sont escriptz en mon livre de vie. Je ne bastis que pierres vives, ce sont hommes. — Selon mon jugement, respondit Pantagruel, c'estoit affin que pour la première an- née ilz jouissent de leurs amours à plaisir, vacassent à production de lignage et feissent provision de héritiers ; ainsi, pour le moins, si l'année seconde estoient en guerre occis, leur nom et armes restast en leurs enfans. Aussi que leurs femmes on con- 46 LIVRE III, CHAPITRE VI gneust certainement estre ou brehaignes, ou fé- condes, car l'essay d'un an leurs sembloit suffisant, attendu la maturité de l'aage en laquelle ilz fai- soient nopces, pour mieulx, après le decés des ma- riz premiers, les colloquer en secondes nopces : les fécondes, à ceulx qui vouldroient multiplier en en- fans; les brehaignes, à ceulx qui n'en appeteroient, et les prendroient pour leurs vertus, sçavoir bonnes grâces, seulement en consolation domesticque et entretenement de mesnage. — Les prescheurs de Varenes, dist Panurge, détestent les secondes nop- ces comme folles et deshonnestes. — Elles sont, respondit Pantagruel, leurs fortes fiebvres quar- taines. — Voire^ dist Panurge, et à frère Enguain- nant aussi, qui, en plain sermon, preschant à Pa- rillé et détestant les nopces secondes, juroit et se donnoit au plus viste diable d'enfer en cas que mieulx n'aymast depuceller cent filles que biscoter une vefve. Je trouve vostre raison bonne et bien fondée. Mais que diriez-vous si ceste exemption leurs estoit oultroyée pour raison que, tout le de- cours d'icelle prime année; ilz auroienî tant talo- che leurs amours de nouveau possédez, comme c'est l'œquité et debvoir, et tant esgoutté leurs vases spermaticques, qu'ilzen restoient tous effilez, tous evirez, tous énervez et flatriz, si que, adve- nent le jour de bataille, plus tost se mettroient au plongeon comme canes avecques le baguaige que avecques les combatans et vaillans champions, on PANTAGRUEL 47 lieu onquel par Enyo est meu le hourd, et sont les coups departiz, et soubs l'estandart de Mars ne frapperoient coup qui vaille, car les grands coups auroient ruez sous les courtines de Venus s'amie? Qu'ainsi soit, nous voyons encores maintenant, en- tre autres reliques et monumens d'antiquité, qu'en toutes bonnes maisons^ après ne sçaj quantz jours, l'on envoyé ces nouveauz mariez veoir leur oncle pour les absenter de leurs femmes, et ce pendent soy reposer et de rechief se avitaller pour mieux au retour combatre, quoy que souvent ilz n'ayent ne oncle ne tante. En pareille forme que le roy Petault, après la journée des Cornabons, ne nous cassa proprement parlant, je diz moi et Courcail- let, mais nous envoya refraischir en nos maisons. Il est encores cherchant la sienne. La marraine de mon grand-pere me disoit, quand j'estois petit, que Patenostres et oraisons Sont pour ceulx là qui les retiennent ; Un fiffre allans en fenaisons Est plus fort que deux qui en viennent. « Ce que me induict en ceste opinion est que les planteurs de vigne à peine mangeoient raisins ou beuvoient vin de leur labeur durant la première année, et les bastisseurs, pour l'an premier, ne ha- bitoient en leurs logis de nouveau faictz, sur poine de y mourir sufîocquez par defîault de expiration. 48 LIVRE III, CHAPITRE VI comme doctement l'a noté Galen, lib. 2, De la difficulté de respirer. « Je ne Tay demandé sans cause bien causée, ne sans raison bien resonnante. Ne vous des- plaise. » CHAPITRE VII Comment Pamirge avoit la pusse en Vaureille, et dé- sista porter sa magnificque braguette. u lendemain, Panurge se feit perser l'oreille dextre à la judaïque, ety ata- cha un petit anneau d'or à ouvraige ;de tauchie, on caston duquel estoit une pusse enchâssée ; et estoit la pusse noire, affîn que de rien ne doublez (c'est belle chose,, estre en tous cas bien informé), la despence de laquelle, ra- portée à son bureau, ne montoit par quartier gue- res plus que le mariage d'une tigresse hircanicque, comme vous pourriez dire 600,000 malvedis. De tant excessive despense se fascha lors qu'il feut quitte, et depuis la nourrit en la façon des tyrans et advocatz, de la sueur et du sang de ses sub- jectz. « Print quatre aulnes de bureau, s'en acoustra comme d'une robbe longue à simple cousture, dé- sista porter le hault de ses chausses, et attacha des lunettes à son bonnet. En tel estât se présenta da- PANTAGRUEL 49 vant Pantagruel, lequel trouva le desguisement es- trange, mesmement ne voyant plus sa belle et ma- gnificque braguette, en laquelle il souloit comme en l'ancre sacre constituer son dernier refuge contre tous naufraiges d'adversité. N'entendant le bon Pantagruel ce mystère, le interrogea, demandant que pretendoit ceste nouvelle prosopopée. « J'ai, respondit Panurge, la pusse en Taureille : je me veulx marier. — En bonne heure soit, dist Pantagruel, vous m'en avez bien resjouy. Vraye- ment, je n'en vouldrois pas tenir un fer chauld . Mais ce n'est la guise des amoureux ainsi avoir bragues avalades et laisser pendre sa chemise sur les genoilx sans hault de chausses, avecques robbe longue de bureau, qui est couleur inusitée en rob- bes talares entre gens de bien et de vertus. Si quelques personaiges de haeresies et sectes parti- culiaires s'en sont autres fois acoutrez, quoy que plusieurs l'ayent imputé à piperie, imposture et af- fectation de tyrannie sus le rude populaire, je ne veulx pourtant les blâmer, et en cela faire d'eulx jugement sinistre. Chascun abonde en son sens, mesmement en choses foraines, externes et in- différentes, lesquelles de soy ne sont bonnes ne maulvaises, pource qu'elles ne sortent de nos cœurs et pensées, qui est l'officine de tout bien et tout mal; bien, si bonne est, et par le esprit munde rei- glée l'affection; mal, si hors asquité par l'esprit maling est l'affection dépravée. Seulement me Rabelais. III. 7 5o LIVRE III, CHAPITRE VII deplaist la nouveaulté , et mespris du commun usaige. — La couleur, respondit Panurge, est aspre aux potz, à propos : c'est mon bureau; je le veulx do- rénavant tenir et de prés reguarder à mes affaires. Pays qu'une foys je suis quitte, vous ne veistes oncques homme plus mal plaisant que je seray, si Dieu ne me ayde. Voiez cy mes bezicles : à me veoir de loing, vous diriez proprement que c'est frère Jan Bourgeoys. Je croy bien que, l'année qui vient, je prescheray encores une foys la croisade. Dieu guard de mal les pelotons. Voiez vous ce bureau ? Croiez qu'en luy consiste quelque occulte propriété à peu de gens congneue. Je ne l'ay prins qu'à ce matin, mais desjà j'endesve, je de- guene, je grezille d'estre marié et labourer en dia- ble bur dessus ma femme, sans craincte des coups de baston. O le grand mesnaiger que [je seray! Après ma mort, on me fera brusler en bust hono- rificque^ pour en avoir les cendres, en mémoire et exemplaire du mesnaiger pcrfaict. Corbieu ! sus cestuy mien bureau ne se joue pas mon argentier d'allonger les ss, car coups de poing troteroient en face. Voyez moy davant et darriere : c'est la forme d'une toge, antique habillement des Romains on temps de paix. J'en ay prins la forme en la co- lumne de Trajan à Rome, en l'arc triumphal aussi de Septimius Severus. Je suis las de guerre, las de sages et hocquetons; j'ay les espaulcs PANTAGRUEL 5l toutes usées à force de porter harnois. Cessent les armes, reignent les toges, au moins pour toute ceste subséquente année, si je suis marié, comme vous me allegastez hier par la loy mosaïque. « Au reguard du hault de chausses, ma grande tante Laurence jadis me disoit qu'il estoit faict pour la braguette. Je le croy, en pareille induction que le gentil falot Galen, lib. <^, De Vusage de nos membres^ dict la teste estre faicte pour les yeulx, car nature eust peu mettre nos testes aux genoulx ou aux coubtes; mais ordonnant les yeulx pour des- couvrir au loing, les fixa en la teste comme en un baston au plus hault du corps, comme nous voyons les phares et haultes tours sus les havres de mer estre érigées, pour de loing estre veue la lanterne. « Et, pource que je vouldrois quelque espace de temps, un an pour le moins, respirer de l'art militaire, c'est à dire me marier, je ne porte plus braguette, ne par conséquent hault de chausses, car la braguette est première pièce de harnoys pour armer l'homme de guerre; et maintiens jusques au feu, exclusivement entendez, que les Turcs ne sont aptement armez, veu que braguettes porter est chose en leurs loix défendue. » 52 LIVRE III, CHAPITRE VIII CHAPITRE VIII Comment la braguette est première pièce de harnois entre gens de guerre. ouLEz-vous, dist Pantagruel, mainte- nir que la braguette est pièce pre- mière de harnois militaire ? C'est doc- trine moult paradoxe et nouvelle, car nous disons que par esprons on commence sov armer. — Je le maintiens, respondit Panurge, et non à tord je le maintiens. Voyez comment Nature, vou- lant les plantes, arbres, arbrisseaulx , herbes et zoophytes, une] fois par elle créez, perpétuer et durer en toute succession de temps, sans jamais dépérir les espèces, encores que les individuz pé- rissent, curieusement arma leurs germes et semen- ces, es quelles consiste icelle perpétuité, et les a muniz et couvers, par admirable industrie, de gous- ses, vagines, testz, noyaulx, calicules, coques, es- piz, pappes, escorces, échines poignans, qui leurs sont comme belles et fortes braguettes naturelles. L'exemple y est manifeste en poix, febves, faseolz, noix, alberges, cotton, colocynthes, bledz, pavot, citrons, chastaignes, toutes plantes généralement, es quelles voyons apcrtement le germe et la se- PANTAGRUEL 53 mence plus estre couverte, munie et armée qu'au- tre partie d'icelles. « Ainsi ne pourveut Nature à la perpétuité de l'humain genre, ains créa l'home nud, tendre, fra- gile, sans armes ne offensives ne défensives, en estât d'innocence et premier aage d'or, comme animant, non plante : comme animant, diz-je, né à paix, non à guerre, animant né à jouissance miri- fîcque de tous fruictz et plantes vegetables, ani- mant né à domination pacifîcque sus toutes bestes. Advenent la multiplication de malice entre les hu- mains en succession de l'aage de fer et règne de Juppiter, la terre commença à produire orties, char- dons, espines, et telle aultre manière de rébellion contre l'home entre les vegetables. D'autre part, presque tous animaulx, par fatale disposition, se émancipèrent de luy, et ensemble tacitement cons- pirèrent plus ne le servir, plus ne luy obéir, en tant que résister pourroient, mais luy nuire scelon leur faculté et puissance. L'home adoncques, vou- lent sa première jouissance maintenir et sa pre- mière domination continuer, non aussi povant soy commodément passer du service de plusieurs ani- maulx, eut nécessité soy armer de nouveau. — Par la dive Oye Guenet! s'escria Pantagruel, depuys les dernières pluyes tu es devenu grand ii- frelofre, voyre, diz-je, philosophe. — Considérez, dist Panurge, comment Nature l'inspira soy armer, et quelle partie de son corps il 34 LIVRE m, CHAPITRE VIII commencza premier armer. Ce feut, par la vertus Dieu, la couille Et le bon messer Priapus, Quand eut faict, ne la pria plus. « Ainsi nous le tesmoigne le capitaine et philo- sophe Hebrieu Moses, affermant qu'il se arma d'une brave et gualante braguette, faicte par moult belle invention de feueilles de figuier, lesquelles sont naïfves et du tout commodes en dureté, in- cisure, frizure, polissure, grandeur, couleur, odeur, vertus et faculté pour couvrir et armer couilles. « Exceptez moy les horrificques couilles de Lorraine, lesquelles à bride avalée descendent au fond des chausses, abhorrent le mannoir des bra- guettes haultaines, et sont hors toute méthode; tesmoing Viardiere, le noble valentin, lequel, un premier jour de may, pour plus guorgias estre , je trouvay à Nancy, descrotant ses couilles extendues sur une table comme une cappe à l'espaignole. « Doncques ne fauldra dorénavant dire, qui ne vouldra improprement parler, quand on envoyra le franc taulpin en guerre : Saulve Tevot le pot au vin, c'est le cruon. Il faut dire : Saulve Tevot le pot au laict, ce sont les couilles, de par tous les diables d'enfer. La teste perdue, ne perist que la personne : les PANTAGRUEL 5î> couilles perdues, periroit toute humaine nature. C'est ce que meut le gualant Cl. Galon, lib. i, De spermate, à bravement conclure que mieulx, c'est à dire moindre mal seroit poinct de cœur n'avoir que poinct n'avoir de genitoires. Car là consiste, comme en un sacré repositoire, le germe conserva- tif de l'humain lignage. Et croieroys pour moins de cent francs que ce sont les propres pierres moye- nans les quelles Deucalion et Pyrrha restituèrent le genre humain, aboly par le déluge poétique. C'est ce qui meut le vaillant Justinian, lib. 4^ De cagotis tollcn- dis, à mettre summum h oniim in braguibusetbraguetis. « Pour ceste et aultres causes, le seigneur de Merville, essayant quelque jour un harnoys neuf, pour suyvre son Roy en guerre, car du sien anti- que et à demy rouillé plus bien servir ne se povoit, à cause que depuys certaines années la peau de son ventre s'estoit beaucoup esloignée des roignons , sa femme consydera, en esprit contemplatif, que peu de soing avoit du pacquet et baston commun de leur mariage, veu qu'il ne l'armoit que de mail- les, et feut d'advis qu'il le munist très bien et ga- bionnast d'ung gros armet de joustes, lequel estoit en son cabinet inutile. « D'icelle sont escriptz ces vers on tiers livre du Chiabrena des pucelles : Celle qui veid son mary tout armé. Fors la braguette, aller à l'escarmouche. 56 LIVRE III, CHAPITRE VIII Luy dist : « Amy, de paour qu'on ne vous touche. Armez cela, qui est le plus aymé. » Quoy? tel conseil doibt-il estre blasmé? Je diz que non : car sa paour la plus grande De perdre estoit, le voyant animé, Le bon morceau dont elle estoit friande. < Désistez doncques vous esbahir de ce nouveau mien acoustrement. » CHAPITRE IX Comment Panurge se conseille à Pantagruel pour sçavoir s'il se doibt marier. ANTAGRUEL rien ne replicquant, conti- y -ç nua Panurge, et dist avecques un pro- IH I fond soupir : « Seigneur, vous avez _M ma délibération entendue, qui est me marier, si de mal encontre n'estoient tous les trous fermez, clous et bouclez. Je vous supply, par l'a- mour que si long temps m'avez porté, dictez m'en vostre advis. — Puis, respondit Pantagruel, qu'une foys en avez jecté le dez, et ainsi l'avez décrété et prins en ferme délibération, plus parler n'en fault : reste seullement la mettre à exécution. — Voyre mais, dist Panurge, je ne la voul- drois exécuter sans votre conseil et bon advis. — J'en suis, respondit Pantagruel, d'advis et vous le conseille. — Mais, dist Panurge, si vous congnois- PANTAGRUEL Sy siez que mon meilleur feust tel que je suys demeu- rer, sans entreprendre cas de nouvelleté, j'ayme- rois mieulx ne me marier poinct. — Poinct doncques ne vous mariez, respondit Pantagruel. — Voyre mais, dist Panurge, vouldriez vous qu'ainsi seulet je demeurasse toute ma vie sans compaignie conjugale? Vous sçavez qu'il est escript : Veh soli. L'homme seul n'a jamais tel soûlas qu'on veoyd entre gens mariez. — Mariez vous doncq, de par Dieu, respondit Pantagruel. — Mais si, dist Panurge, ma femme me faisoit coqu, comme vous sçavez qu'il en est grande année, ce seroit assez pour me faire trespasser hors les gonds de patience. J'aime bien les coquz, et me semblent gens de bien, et les hante voluntiers ; mais, pour mourir, je ne le vouldroys estre. C'est un poinct qui trop me poingt. — Poinct doncques ne vous mariez, respondit Pantagruel, car la sen- tence de Senecque est véritable hors toute excep- tion : Ce qu'à aultruy tu auras faict, soys certain qu'aultruy te fera. — Dictez vous, demanda Pa- nurge, cela sans exception? — Sans exception il le dict, respondit Pantagruel. — Ho ho ! dist Pa- nurge, de par le petit diable, il entend en ce monde ou en l'aultre. « Voyre mais, puis que de femme ne me peuz passer en plus qu'un aveugle de baston, car il fault que le virolet trote, aultrement vivre ne sçauroys, n'est ce le mieulx que je me associe quelque hon- 58 LIVRE III, CHAPITRE IX neste et preude femme qu'ainsi changer de jour en jour avecques continuel dangier de quelque coup de baston, ou de la verolle pour le pire? Car femme de bien oncques ne me feut rien, et n'en desplaise à leurs mariz. — Mariez vous doncq, de par Dieu, respondit Pantagruel. — Mais si, dist Panurge, Dieu le vouloit, et advint que j'esposasse quelque femme de bien, et elle me batist, je seroys plus que tiercelet de Job si je n'enrageois tout vif, car l'on m'a dict que ces tant femmes de bien ont communément maulvaise teste, aussi ont elles bon vinaigre en leur mesnaige. Je l'auroys encores pire, et luy battroys tant et trestant sa petite oye, ce sont braz, jambes, teste, poulmon, foye et râtelle, tant luy deschicqueterois ses habillemens à bastons rompuz, que le grand Diole en attendroit l'ame damnée à la porte. De ces tabus je me passerois bien pour ceste année, et content serois n'y entrer poinct. — Point doncques ne vous mariez, respondit Pantagruel. — Voire mais, dist Panurge, estant en estât tel que je suis, quitte, et non marié; notez que je diz quitte en la maie heure, car, estant bien fort en- debté, mes créditeurs ne seroient que trop soin- gneux de ma paternité; mais quitte, et non marié, je n'ay personne qui tant de moy se souciast et amour tel me portast qu'on dit estre amour con- jugal, et, si par cas tombois en maladie, traicté ne serois qu'au rebours. Le saige dict : Là ou n'est PANTAGRUEL 59 femme, j'entends merefamiles, et en mariage légi- time, le malade est en grand estrif. J'en ay veu claire expérience en papes, legatz, cardinaulx, evesques, abbez, prieurs, presbtres et moines. Or là jamais ne m'auriez. — Mariez-vous doncq, de par Dieu, respondit Pantagruel. — Mais si, dist Panurge, estant malade et im- potent au debvoir de mariage, ma femme, impa- tiente de ma langueur, à aultruy se abandonnoit, et non seulement ne me secourust au besoing, mais aussi se mocquast de ma calamité, et, que pis est, me desrobast, comme j'ay veu souvent advenir, ce seroit pour m'achever de paindre, et courir les champs en pourpoinct. — Poinct doncques ne vous mariez, respondit Pantagruel. — Voire mais, dist Panurge, je n'aurois jamais aultrement filz ne filles légitimes, es quelz j'eusse espoir mon nom et armes perpétuer, es quelz je puisse laisser mes heritaiges et acquestz, j'en feray de beaulx un de ces matins, n'en doubtez, et d'a- bondant seray grand retireur de rantes, avecques les quelz je me puisse esbauldir, quand d'ailleurs serois meshaigné, comme je voys journellement vostre tant bening et débonnaire père faire avecques vous, et font tous gens de bien en leur serrail et privé. Car, quitte estant, marié non estant, estant par accident fasché, en lieu de me consoler, advis m'est que de mon mal riez. — Mariez voui doncq, de par Dieu, respondit Pantagruel. 6o LIVRE III. CHAPITRE X CHAPITRE X Comment Pantagruel remonstre à Panurge difficile chose estre le conseil de mariage, et des sors Ho- mériques et Virgilianes. OSTRE conseil, dist Panurge, soubs correction, semble à la chanson de Ricochet. Ce ne sont que sarcasmes, mocqueries et redictes contradictoires. Les unes destruisent les aultres. Je ne sçay es quelles me tenir. — Aussi, respondit Pantagruel, en vos propositions tant y a de Si et de Mais que je n'y sçaurois rien fonder ne rien resouldre. N'estez vous asceuré de vostre vouloir? Le poinct principal y gist, tout le reste est fortuit et dépendent des fa- tales dispositions du Ciel. Nous voyons nombre de gens tant heureux à ceste rencontre qu'en leur ma- riage semble reluire quelque idée et reprcesentation des joyes de paradis. Aultres y sont tant malheu- reux que les diables qui tentent les hermites par les déserts de Thebaïde et Monsserrat ne le sont dadventaige. Il se y convient mettre à l'adventure, les yeulx bandez, baissant la teste, baisant la terre, et se recommandant à Dieu au demourant, puis- qu'une foys l'on se y veult mettre. Aultre asceu- rance ne vous en sçauroys-je donner. « Or voyez cy que vous ferez, si bon vous sem- ble. Apportez moy les Œuvres de Virgile, et, par PANTAGRUEL 6l troys foys avecques l'ongle les ouvrans, explorerons, par les vers du nombre entre nous convenu, le sort futur de votre mariage. Car, comme par sors Ho- mericques souvent on a rencontré sa destinée, tes- moing Socrates, lequel, oyant en prison reciter ce mètre de Homère, dict de Achiles, 9. Iliad. : Je parviendray, sans faire long séjour, En Phthie, belle et fertile, au tiers jour, praeveid qu'il mourroit le tiers subséquent jour, et le asceura à iEschines, comme escrivent Plato in Critone, Ciceron primo De Divinafione, et Diogenes Laertius : « Tesmoing Opilius Macrinius, auquel, convoi- tant sçavoir s'il seroit empereur de Rome, advint en sort ceste sentence, 8. Iliad. : 'D yépov, '/j aàya or^ ie vioi xeipouort [j.'xyr^z'xi . O home vieulx, les soubdars désormais, Jeunes et forts, te lassent, certes; mais Ta vigueur est résolue, et vieillesse Dure et moleste accourt, et trop te presse. « De faict il estoit ja vieulx, et ayant obtenu l'empire seulement un an et deux mois, feut par Heliogabalus, jeune et puissant, dépossédé et occis. « Tesmoing Brutus, lequel, voulant explorer le sort de la bataille Pharsalicque, en laquelle il feut b2 LIVRE III, CHAPITRE X occis, rencontra ce vers dictde Patroclus, ///ac/. i6: 'AÀÀa ijt,£ MoTp' 6ao"/], xai Ar^rouç sxTavev uioç... Par mal engrouin de la Parce félonne Je feuz occis, et du fils de Latonne... c'est Apollo, qui feut pour mot du guet le jour d'icelle bataille. <( Aussi par sors Virgilianes ont esté congneues anciennement et preveues choses insignes, et cas de grande importance, voire jusques à obtenir l'empire romain, comme advint à Alexandre Severe, qui rencontra en ceste manière de sort ce vers escript, A^neid. 6 : Tu regere imperio populos. Romane, mémento... Romain enfant, quand viendras à l'Empire, Regiz le monde en sorte qu'il n'empire. « Puys feut, après certaines années, realement et de faict créé empereur de Rome. « En Adrian, empereur romain, lequel, estant en doubte et poine de sçavoir quelle opinion de luy avoit Trajan, et quelle affection il luy portoit, print advis par sors Virgilianes, et rencontra ces vers, Encid. 6 : Quis procul, ille autem ramis insignis olivse Sacra ferens? Nosco crines, incanaque menta Régis romani... Qui est cestuy qui là loing en sa main Porte rameaulx d'olive illustrement ? A son gris poil et sacre accoustrement, Je recongnois l'antique roy rommain... PANTAGRUEL 63 '( Puys feut adopté de Trajan, et luy succéda à l'empire. « En Claude, second empereur de Rome, bien loué, auquel advintpar sort ce vers escript 6 JEneid. : Tertia dum Latio regnantem vider it xstas... Lors que t'aura régnant manifesté En Rome et veu tel le troiziesme aesté... « De faict, il ne régna que deux ans. A icelluy mesmes, s'enquerant de son frère Quintel, lequel il vouloit prendre au gouvernement de l'Empire, advint ce vers 6 ^neid. • Ostendent terris hune tantum Fata... Les Destins seulement le montreront es terres... Laquelle chose advint, car il feut occis dix et sept jours après qu'il eut le maniment de l'empire. Ce mesmes sort escheut à l'empereur Gordian le jeune. « A Clode Albin, soucieux d'entendre sa bonne adventure, advint ce qu'est escript jEneid. 6 : Hic rem romanam, magno turbante tumultu, Sistet eques, etc.. Ce chevallier, grand tumulte advenent, L'Estat romain sera entretenent ; Des Cartagiens victoires aura belles, Et des Gaullois, s'ilz se montrent rebelles... « En D. Claude empereur, prédécesseur de Au- relian, auquel, se guementant de sa postérité, advint ce vers en sort, Mneid. i : 64 LIVRE 111, CHAPITRE X His ego nec metas rerum, ntc tempora pono... Longue durée à ceulx cy je prétends. Et à leurs biens ne mets borne ne temps... « Aussi eut-il successeurs en longues généalogies ; <-. En M. Pierre Amy^ cjuand il explora pour sçavoir s'il eschapperoit de l'embusche des Farfa detz, el rencontra ce vers, A^neid. 3 : Heu ! fuge crudeles terras, fuge littus avarum... Laisse soubdain ces nations barbares, Laisse soubdain ces rivages avares... « Puys eschappa de leurs mains sain et saulve. '( Mille aultres, desquelz trop prolix seroit narrer les adventures advenues scelon la sentence du vers par tel sort rencontré. Je ne veulx toutesfoys in- férer que ce sort universellement soit infaillible, afïin que ne y soyez abusé. )> CHAPITRE XI Comment Pantagruel remonstre le sort des dez estrc illicite. ^E seroit, dist Panurge, plus toust faict et expédié à troysbeaulxdez. — Non, respondit Pantagruel; ce sort est abu- ^, ^ . _ sif, illicite et grandement scandaleux. Jamais ne vous y fiez. Le mauldict livre du Passe temps des dez feut, longtemps a, inventé par le Ca- PANTAGRUEL 65 lumniateurEnnemy en Achaïe présBoure, etdavant la statue de Hercules Bouraïque y faisoit jadis, de praesent en plusieurs lieux faict, maintes simples âmes errer, et en ses lacz tomber. Vous sçavez comment Gargantua, mon père, par tous sesroyaul- mes l'a défendu, bruslé avecques les moules et pro- traictz, et du tout exterminé, supprimé et aboly, comme peste tresdangereuse. Ce que des dez je vous ay dict, je diz semblablement des taies : c'est sort de pareil abus. Et ne m'alléguez au contraire le fortuné ject des taies que feit Tibère dedans la fontaine de Apone à l'oracle de Gerion : ce sont hamessons par les quelz le Calumniateur tire les simples âmes à perdition éternelle. (( Pour toutesfoys vous satisfaire, bien suys d'avis que jectez troys dez sus ceste table. Au nombre des poinctz advenens nous prendrons les vers du feuillet que aurez ouvert. Avez-vous icy dez en bourse? — Pleine gibessiere, respondit Panurge. C'est le verd du diable, comme expose Merl. Coccaius, libro secundo De Patria diabolonim. Le diable me prendroit sans verd, s'il me rencontroit sans dez. » Les dez feurent tirez et jectez, et tombèrent es poinctz de cinq, six, cinq. «Ce sont, dist Panurge, seze. Prenons les vers seziemes du feuillet. Le nom- bre me plaist, et croy que nos rencontres seront heureuses. Je me donne à travers tous les diables, comme un coup de boulle à travers ung jeu de Rabelais. IH, o 66 LIVRE III, CHAPITRE XI quilles, ou comme un coup de canon à travers un bataillon de gens de pied, guare diables qui voul- dra en cas que aultant de foys je ne belute ma femme future la première nuict de mes nopces. — Je ne en fays doubte, repondit Pantagruel; ja besoing n'estoit en faire si horrifîcque dévotion. La première foys sera une faulte, et vauldra quinze : au desjucher vous l'amenderez : par ce moyen se- ront seze. — Et ainsi, dist Panurge, l'entendez? Oncques ne feut faict solœcisme par le vaillant champion qui pour moy faict sentinelle au bas ventre. Me avez vous trouvé en la confrairie des faultiers? Jamais, jamais, au grand fin jamais. Je le fays en père, et en beat père, sans faulte. J'en de- mande aux joueurs. » Cesparolles achevées, feurentaportez les œuvres de Virgile. Avant les ouvrir, Panurge dist à Panta- gruel : (( Le cœur me bat dedans le corps comme une mitaine; touchez un peu mon pouls en ceste artère du braz guausche. A sa fréquence et éléva- tion vous diriez qu'on me pelaude en tentative de Sorbone. Seriez-vous poinct d'avis, avant procéder oultre, que invocquions Hercules et les déesses Tenites, les quelles on dict prcesider en la cham- bre des Sorts? — Ne l'un, respondit Pantagruel, ne les aultrcs. Ouvrez seulement avec l'ongle. » PANTAGRUEL 67 CHAPITRE XII Comment Pantagruel explore par sors Virgilianes quel sera le mariage de Panurge. DONCQUES, ouvrant Panurge le livre, rencontra on ranc sezieme ce vers : Nec Deus hune mmsa, Dea nec dignata cu- bili est; Digne ne feut d'estre en table du dieu, Et n'eut on lict de la déesse lieu. (( Cestuy, dist Pantagruel, n'est à vostre adven- taige. Il dénote que vostre femme sera ribaulde, vouscoqu par conséquent. La déesse que vous n'au- rez favorable est Minerve, vierge très redoublée, déesse puissante, fouldroiante, ennemie des coquz, des muguetz, des adultères, ennemie des femmes iubricques, non tenentes la foy promise à leurs ma- riz, et à aultruy soy abandonnantes. Le dieu est Juppiter tonnant et fouldroyant des cieulx. « Et noterez par la doctrine des anciens Ethrus- ques que les manubies, ainsi appelloient ilz lesjectz des fouldres vulcaniques, compétent à elle seule- ment : exemple de ce feut donné en la conflagration des navires de Ajax Oileus, et à Juppiter, son père capital. A aultres dieux Olympicques n'est licite fouldroier; pourtant ne sont ilz tant redoubtez des humains. Plus vous diray, et le prendrez comme 68 LIVRE III, CHAPITRE XII extiaict de haute mythologie. Quand les geantz entreprindrent guerre contre les dieux, les dieux au commencement se mocquerent de telz ennemis, et disoient qu'il n'y en avoit pas pour leurs pages. Mais, quand ilz veirent par le labeur des geantz le monsPelion posé dessus le monsOsse, et jaesbranlé le mons Olympe pour estre mis au dessus des deux, feurent tous effrayez. « Adoncques tint Juppiter chapitre gênerai. Là feut conclud de tous les dieux qu'ilz se mettroient vertueusement en deffence; et, pource qu'ilz avoient plusieurs foys veu les batailles perdues par l'empeschement des femmes qui estoient parmy les armées, feut décrété que pour l'heure on chasse- roit des cieulx en ^Egypte et vers les confins du Nil toute ceste vessaille des déesses, desguisées en beletes, fouines, ratepenades, museraigneset aultres métamorphoses. Seule Minerve feut de retenue pour fouldroier avecques Juppiter, comme déesse des lettres et de guerre, de conseil et exécution, déesse née armée, déesse redoubtée on ciel, en l'air, en la mer et en terre. — Ventre guoy, dist Panurge, seroys-je bien Vulcan, duquel parle le Poète? Non. Je ne suys ne boiteux, ne faulx monnoieur, ne forgeron, comme il estoit. Par adventure ma femme sera aussi belle et advenente comme sa Venus, mais non ribaulde comme elle, ne moy coqu comme luy. Le villain jambe-lorte se feist declairer coqu par arrest et en PANTAGRUEL 69 vente figure de tous les dieux. Pource entendez au rebours. « Ce sort dénote que ma femme sera preude, pudicque et loyalle, non mie armée, rebousse, ne ecervelée et extraite de cervelle comme Pallas, et ne me sera corrival ce beau Juppin, et ja ne saul- sera son pain en masouppe, quand ensemble serions à table. Considérez ses gestes et beaulx faitz. Il a esté le plus fort ruffien et plus infâme cor, je diz bordelier, qui oncques feut, paillard tousjours comme un verrat : aussi feut il nourry par une truie en Dicte de Candie, si Agathocles Babylonien ne ment, et plus boucquin que n'est un boucq; aussi disent les autres qu'il feut alaicté d'une chèvre Amalthée. Vertus de Acheron ! il belina pour un jour la tierce partie du monde, bestes et gens, fleuves et mon- taignes : ce feut Europe. Pour cestuy belinaige les Ammoniens le faisoient protraire en figure de bé- lier belinant, bélier cornu, « Mais je sçay comment guarder se fault de ce cornard. Croyez qu'il n'aura trouvé un sot Amphi- tryon, un niais Argus avecques ses cent bezicles, un couart Acrisius, un lanternier Lycus de Thebes, un resveur Agenor, un Asope phlegmaticq, un Ly- chaon patepelue, un madourré Corytus de la Tos- cane, un Atlas à la grande eschine. Il pourroit cent et cent foys se transformer en cycne, en taureau, en satyre, en or, en coqu, comme feist quand il depucella Juno sa sœur; en aigle, en bélier, en pi- yO LIVRE lil, CHAPITRE XII geon, comme feist estant amoureux de la pucelle Phtie, laquelle demouroit en ^Egie; en feu, en serpent, voire certes en pusse, en atomes epicureic- ques, ou magistronostralement en secondes inten- tions, je le vous grupperay au crue; et sçavez que luy feray? Coi bieu, ce que feist Saturne au Ciel son père (Seneque l'a de moy predict, et Lactance confirmé), ce que Rhea feist à Athys. Je vous luy coupperay les couillons tout rasibus du cul; il ne s'en fauldra un pelet. Par ceste raison ne sera il jamais Pape, car testiculos non hahet. — Tout beau, fillol, dist Pantagruel, tout beau ! Ouvrez pour la seconde foys. » Lors rencontra ce vers : Membra quatit, gelidusque coït formidine sanguis... Les os luy rompt, et les membres luy casse. Dont de la paour le sang on corps luy glasse. (( Il dénote, dist Pantagruel, qu'elle vous battera dos et ventre. — Au rebours, respondit Panurge. C'est de moy qu'il prognosticque, et di£t que je la batteray en tigre si elle me fasche. Martin baston en fera l'office. En faulte de baston, le diable me mange si je ne la mangeroys toute vive, comme la sienne mangea Cambles, roy des Lydiens. — Vous estez, dist Pantagruel, bien couraigeux. Her- cules ne vous combatteroit en ceste fureur; mais c'est ce que l'on dict, que le Jan en vault deux, et Hercules seul n'auza contre deux combatre. — PANTAGRUEL 7I Je suys Jan ? distPanurge. — Rien, rien, lespondit Pantagruel. Je pensois au jeu du lourche et tric- quetrac. » Au tiers coup rencontra ce vers : Fœmineo prxdx et spoliorum ardebat amore... Brusloit d'ardeur en féminin usaige, De butiner et robber le baguaige. (( 1! dénote, dist Pantagruel, qu'elle vousdesro- bera. Et je vous voy bien en poinct, selon ces troys sors : vous serez coqu, vous serez batu, vous serez desrobbé. — Au rebours, respondit Panurge, ce vers dénote qu'elle m'aimera d'amour perfaict. Oncques n'en mentit le Satyricque, quand il dict que femme bruslant d'amour suprême prend quel- ques foys plaisir àdesrobber son amy. Sçavezquoy? Un guand, une aiguillette pour la faire chercher, peu de chose, rien d'importance. Pareillement, ces petites noisettes, ces riottes qui par certain temps sourdent entre les amans, sont nouveaulx refrais- chissemens et aiguillons d'amour, comme nous voyons par exemple les coustelliers leurs coz quel- ques foys marteler pour mieulx aiguiser les ferre- mens. « C'est pourquoy je prends ces trois sors à mon grand adventaige. Aultrement j'en appelle. — Appeller, dist Pantagruel, jamais on ne peult des jugemens décidez par Sort et Fortune, comme at- testent nos antiques jurisconsultes; et le dictBalde, 72 LIVRE III, CHAPITRE XII L. ult., C. de Leg. La raison est pource que For- tune ne recongnoist poinct de supérieur, auquel d'elle et de ses sors on puisse appeller, et ne peult en ce cas le mineur estre en son entier restitué, comme apertement il dict in L. Ait prœtor, § u/f., ff. de minor. » CHAPITRE XIII. Comment Pantagruel conseille Panurge prévoir l'heur ou malheur de son mariage par songes. ^/ La treizième , à la croppe de une |-'''montaigne, soubs un grand et ample ^chastaignier, leurs feut monstrée la maison de la vaticinatrice. Sans difficulté ilz entrè- rent en la case chaumine, mal bastie, mal meublée, toute enfumée. « Baste, dist Epistemon, Heraclitus, grand Sco- tiste et ténébreux philosophe, ne s'estonna entrant en maison semblable, exposant à ses sectateurs et disciples que là aussi bien residoient les dieux comme en palais pleins de délices. Et croy que telle estoit la case de la tant célébrée Hecale, lors qu'elle y festoya le jeune Theseus; telle aussi celle de Hireus ou Œnopion, en laquelle Juppiter, Neptune et Mercure ensemble ne prindrent à des- daing entrer, repaistre et loger, en laquelle officia- lement pour l'escot forgèrent Orion. » Au coing de la cheminée trouvèrent la vieille. 94 LIVRE III, CHAPITRE XVII « Elle est, s'escria Epistemon, vraye sibylle et vray protraict naïfvement représenté par xv) xaatvoî de Homère. » La vieille estoit mal en poinct, mal vestue^ mal ' nourrie, edentée, chassieuse, courbassée, roupieuse, languoureuse, et faisoit un potaige de choux verds, avecques une couane de lard jausne, et un vieil savorados. a Verd et bleu, dist Epistemon, nous avons failly. Nous ne aurons d'elle responce aulcune, car nous n'avons le rameau d'or. — Je y ay, res- pondit Panurge, pourveu. Je l'ay icy dedans ma gibbessierre en une verge d'or, acompaigné de beaulx et joyeulx Carolus. » Ces mots dictz, Panurge la salua profondement, luy praesenta six langues de bœuf fumées, un grand pot beurrier plein de coscotons, ung bourrabaquin guarny de brevaige, une couille de bélier pleine de carolus nouvellement forgez; enfin, avecques pro- fonde révérence luy mist on doigt médical une verge d'or bien belle, en laquelle estoit une cra- paudine de Beussc magnificquement enchâssée. Puys en briefves parolles luy exposa le motif de sa venue, la priant courtoisement luy dire son ad- vis et bonne fortune de son mariage entreprins. La vieille resta quelque temps en silence, pen- sive et richinante des dens ; puys s'assist sus le cul d'un boisseau, print en ses mains troys vieulx fuseaulx, les tourna et vira entre ses doigtz en di- PANTAGRUEL ^5 verses manières, puys esprouva leurs poinctes ; le plus poinctu retint en main, les deux aultres jecta soubs une pille à mil. Après print ses devidoueres, et par neuf foys les tourna; au neufvieme tour consydera sans plus toucher le mouvement des de- vidoueres, et attendit leur repous perfaict. Depuys je veitz qu'elle deschaussa un de ses esclos, nous les nommons sabotz, mist son davantau sus sa teste, comme les presbtres mettent leur amict quand ils voulent messe chanter; puys, avecques un antique tissu riolé, piolé, le lia soubs la guorge. Ainsi af- feublée, tira un grand traict du bourrabaquin, print de la couille beliniere trois carolus, les mist en trois coques de noix, et les posa sus le cul d'un pot à plume ; feist trois tours de balay par la cheminée, jecta on feu demy fagot de bruiere et ung rameau de laurier sec. Le consydera brusler en silence, et veid que bruslant ne faisoit grislement ne bruyt aulcun. Adoncques s'escria espouvantablement, sonnant entre les dens quelques motz barbares etd'estrange termination; de mode que Panurge dist à Episte- mon : « Par la vertus Dieu, je tremble; jecroyque je suys charmé. Elle ne parle poinct Christian. Voyez comment elle me semble de quatre empans plus grande que n'estoit lorsqu'elle se capitonna de son davantau! Que signifie ce remument de badi- guouinces? Que prétend ceste jectigation des es- pauUes? A quelle fin fredonne elle des babines comme un cinge démembrant escrevisses? Les au- 96 LIVRE m, CHAPITRE XVII reilles me cornent, il m'est advis que je oy Pro- serpine bruyante; les diables bien toust en place sortiront. O les laydes bestes ! Fuyons. Serpe Dieu, je meurs de paour. Je n'ayme poinct les diables. Hz me faschentetsontmalplaisans. Fuyons. Adieu, ma dame, grand mercy de vos biens. Je ne me ma- riray poinct, non. Je y renonce dés à présent comme allors. » Ainsi commençoit escamper de la chambre, mais la vieille anticipa, tenente le fuseau en sa main, et sortit en un courtil prés sa maison. Là estoit un sycomore antique ; elle l'escrousla par trois foys, et sus huyct feueillesqui en tumberent, sommairement avecques le fuseau escrivit quelques briefz vers. Puys les jecta au vent, et leur dist: « Allez les chercher, si voulez; trouvez les, si povez; le sort fatal de vostre mariage y est escript. » Ces paroles dictes^ se retira en sa tesniere, et sus le perron de la porte se recoursa robbe, cotte et chemise, jusques auxescelles, et leurs monstroit son cul. Panurge l'aperceut, et dist à Epistemon : « Par le sambre goy de boys, voy la le trou de la sibylle. » Soubdain elle barra sus soy la porte; de- puys ne feut veue. Hz coururent après les feueilles, et les recuille- rent, mais non sans grand labeur, car le vent les avoit esquartées par les buissons de la vallée. Et, les ordonnans Tune après Taultre, trouvèrent ceste sen- tence en mètres : PANTAGRUEL T'esgoussera de renom. Engroissera, de toy non. Te sugsera le bon bout. T'escorchera, mais non tout. CHAPITRE XVIII 97 Comment Pantagruel et Panurge diversement exposent les vers de la sibylle de Panzoust. ES feueilies recuillies, retournèrent Epi- stemon et Panurge en la court de Pan- tagruel, part joyeulx, part faschez. Joyeulx pour le retour, faschez pour le travail du chemin, lequel trouvèrent raboteux, pierreux et mal ordonné. De leur voyage feirent ample rapport à Pantagruel, et de Testât de la sibylle ; en fin luy présentèrent les feueilies de sy- comore, et monstrerent l'escripture en petitzvers. Pantagruel, avoir leu le totaige, dist à Panurge en souspirant: «Vous estez bien en poinct. La prophétie de la sibylle apertement expose ce que ja nous estoii dénoté, tant par les sorts Virgilianes que par vos pro- pres songes : c'est que parvostre femme serez des- Rabelais. III. i3 ^8 LIVRE III, CHAPITRE XVI II honoré; que elle vous fera coqu, se abandonnant à aultruy, et par aultruy devenent grosse; que elle vous desrobbera par quelque bonne partie, et qu'elle vous battera, escorchant'et meurtrissant quelque membre du corps. — Vous entendez autant, respondit Panurge, en exposition de ces récentes prophéties, comme faict truye en espices. Ne vous desplaise si je le diz, car je me sens ung peu fasché. Le contraire est véritable. Prenez bien mes motz. La vieille dict: «Ma femme « m'esgoussera de renom. » Ainsi comme la febve n'est veue se elle ne est esgoussée, aussi ma vertus et ma perfection jamais ne seroit mise en renom si marié je n'estoys. Quantes foys vous ay je ouy di- sant que le magistrat et l'office descœuvre l'homme et mect en évidence ce qu'il avoit dedans le jabot? C'est à dire que, lors on congnoist certainement quel est le personaige, et combien il vault, quand il est appelé au maniment des affaires. Paravant, sça- voir est, estant l'homme en son privé, on ne sçait pour certain quel il est, non plus que d'une febve en gousse. Voylà quant au premier article. Aultre- ment vouldriez vous maintenir que l'honneur et bon renom d'un homme de bien pendist au cul d'une putain? ((Le second dict: «Ma femme engroissera», en- tendez icy la prime félicité de mariage, (( mais non de ((moy. » CorBieu, je lecroy. Ce sera d'un beau petit enfantelet qu'elle sera grosse. Je l'ayme desja tout PANTAGRUEL 99 plein, et ja en suys tout assoty. Ce sera mon petit bedault. Fascherie du monde tant grande et véhé- mente n'entrera désormais à mon esprit, que je ne passe, seulement le voyant et le oyant jargonner en son jargonnoys puéril. Et benoiste soit la vieille ! Je luy veulx vraybis constituer en Salmigondinois quelque bonne rente, non courante comme bache- liers insensez, mais assise comme beaulx docteurs regens. Aultrement vouldriez vous que ma femme dedans ses flans me portast, me conceust, me en- fantast, et qu'on dist : Panurge est un second Bac- chus, il est deux foys né. Il est René, comme feut Hippolytus, comme feut Proteus, une foys de The- tis, et secondement de la mère du philosophe Apol- lonius; comme feurent les deux Palices prés le fleuve Symethos en Sicile. Sa femme estoit grosse de luy : en luy est renouvellée l'antique palintocie des Megariens, et la palingenesie de Democritus? Erreur! Ne m'en parlez jamais. « Le tiers dict : « Ma femme me sugsera le bon « bout.» Je m'y dispose. Vous entendez assez que c'est le baston àun boutqui me pend entre les jambes. Je vous jure et promectz que tousjourslemaintien- dray succulent et bien avitaillé. Elle ne me le sug- sera poinct en vain. Eternellement y sera le petit picotin, ou mieulx. Vous exposez allegoricquement ce lieu, et le interprétez à larrecin et furt. Je loue l'exposition, l'allégorie me plaist, mais non à votre sens. Peut estre que raff"ection syncerequemepor- lOO LIVRE III, CHAPITRE XVIII tez vous tire en partie adverse et refraictaire, comme disent les clercs chose merveilleusement crainctive estre amour, et jamais le bon amour ne estre sans craincte. Mais, scelon mon jugement, en vous mes- mes vous entendez que furt, en ce passaige comme en tant d'aultres des scripteurs latins et antiques, signifie le doulx fruict de amourettes, lequel veult Venus estre secrètement et furtivement cuilly. Pourquoy, par vostre foy? Pour ce que la chosette faicte à l'emblée, entre deux huys, à travers les de- grez, darriere la tapisserie, en tapinois, sus un fagot desroté, plus plaist à la déesse de Cypre, etensuys là, sans praejudice de meilleur advis, que faicte en veue du soleil, à la cynique, ou entre les precieulx conopées, entre les courtines dorées, à longs inter- valles, à plein guogo, avec un esmouchail de soye cramoisine, et un panache de plumes indicques chassant les mousches d'autour, et la femelle s'es- curante les dens avecques un brin de paille, qu'elle ce pendant auroit desraché du fond de la paillasse. Aultrement vouldriez vous dire qu'elle me desrob- bast en sugsant, comme on avalle les huystres en escalle, et comme les femmes de Cilicie, tesmoing Dioscorides, cuillent la graine de Alkermes? Er- reur. Qui desrobbe ne sugse, mais gruppe, ne avalle, mais emballe^ ravist et joue de passe passe. ■' Le quart dict : (( Ma femme me l'escorchcra, '< mais non tout. » O le beau mot! Vous l'inter- prétez à batterie et meurtrissure. PANTAGRUEL I 04 C'est bien à propous, Truelle, Dieu te guard de mal, Masson. <( Je VOUS supply, levez un peu vos espritzde ter- riene pensée en contemplation haultaine des mer- veilles de nature, et ici condemnez vous vous mesmes pour les erreurs qu'avez commis perverse- ment exposant les dictz propheticques de la dive sibylle. Posé, mais non admis ne concédé, le cas que ma femme, par l'instigation de l'ennemy d'en- fer, voulust et entreprint me faire un maulvais tour, me diffamer, me faire coqu jusqu'au cul, me desro- ber et oultrager, encores ne viendra elle à fin de son vouloir et entreprinse. « La raison qui à ce me meut est en ce poinct dernier fondée, et est extraicte du fond de Pan- theologie monasticque. Frère Artus Culletant me Ta aultres foys dict, et feut par un lundy matin, mangeans ensemble ung boisseau de guodiveaulx, et si pleuvoit, il m'en souvient. Dieu luy doint le bonjour. « Les femmes, au commencement du monde, ou peu après, ensemblement conspirèrent escorcherles hommes tous vifz, parce que sus elles maistriser vouloient en tous lieux. Et feut cestuy décret pro- mis, confermé et juré entre elles par le sainct sang breguoy. Mais, ô vaines entreprinses des femmes! ô grande fragilité du sexe féminin! elles commen- cèrent escorcher l'homme, ou gluber, comme le nomme Catulle, par la partie qui plus leurs hayte, 102 LIVRE III, CHAPITRE XVIH c'est le membre neiveulx, caverneulx, plus de six mille ans a, et toutesfoys jusques à présent n'en ont escorché que la teste. Dont par fin despit les Juifz eulx mesmes en circuncision se le couppent et re- taillent, mieulx aymans estre dictz recutitz et re- taillatz Marranes que escorchez par femmes, comme les aultres nations. Ma femme, non dégénérante de ceste commune entreprinse, m.e l'escorchera, s'il ne l'est. Je y consens de franc vouloir, mais non tout, je vous en asceure, mon bon Roy. — Vous, dist Epistemon,ne respondez à ce que le rameau de laurier, nous voyans, elle consyderant et exclamante en voix furieuse et espouvantable , brusloit sans bruyt ne grislement aulcun. Vous sça- vez que c'est triste augure et signe grandement re- doubtable, comme attestent Properce, Tibulle, Porphyre, philosophe argut, Eusiathius sur VIliadc homericque, et aultres. — Vrayement^ respondit Panurge, vous me alléguez de gentilz veaulx! Hz feurent folz comme poètes et resveurs comme phi- losophes, autant pleins de fine folie comme estoit leur philosophie. » PANTAGRUEL I05 CHAPITRE XIX. Comment Pantagruel loue le conseil des muetz. ANTAGRUEL, CCS motz achcvez, se teut assez long temps, et sembloit grande- ment pensif; puys dist à Panurge : « L'esprit maling vous seduyt; mais escoutez. J'ay ieu qu'on temps passé les plus véri- tables et seurs oracles n'estoient ceulx que par es- cript on bailloit, ou par parolle on proferoit. Maintes foys y ont faict erreur ceulx voyre qui es- toient estimez fins et ingénieux, tant à cause des amphibologies, equivocques et obscuritez des motz que de la briefvelé des sentences. Pourtant feut Apolîo , dieu de vaticination, surnommé Ao;iaç Ceulx que l'on exposoit par gestes et par signes estoient les plus véritables et certains estimez. Telle estoit l'opinion de Heraclitus. Et ainsi vaticinoit Juppiter en Amon, ainsi prophetisoit Apollo entre les Assyriens; pour ceste raison le paingnoient-ilz avecques longue barbe et vestu comme personaige vieulx et de sens rassis, non nud, jeune et sans barbe, comme faisoient les Grecz. Usons de ceste manière, et, par signes, sans parler, conseil prenez de quelque mut. — J'en suys d'advis , respondit Panurge. — Mais, dist Pantagruel, il conviendroit que le mut feust sourd de sa naissance, et par con- I04 LIVRE III, CHAPITRE XIX séquent mut, car il n'est mut plus naïf que celluy qui oncques ne ouyt. — Comment, respondit Panurge, l'entendez? Si vray feust que l'homme ne parlast qui n'eust ouy parler, je vous menerois à logicalement inférer une proposition bien abhorrente et paradoxe ; mais laissons la. Vous doncques ne croyez ce qu'escript Hérodote des deux enfans guardez dedans une case par le vouloir de Psammetic, roy des ^Egyp- tiens, et nourriz en perpétuelle silence, les quelz, après certain temps, prononcèrent ceste paroUe : Becus, laquelle, en langue phrygienne, signifie pain? — Rien moins, respondit Pantagruel. C'est abus dire que ayons languaige naturel : les languai- ges sont par institutions arbitraires et convenences des peuples; les voix, comme disent les dialecti- ciens, ne signifient naturellement, mais à plaisir. Je ne vous dis ce propous sans cause, car Bartole, /. prima De Vcrb. oblig., raconte que de son temps feut en Eugube un nommé messer Nello de Ga- brielis, lequel par accident estoit sourd devenu, ce non obstant entendoit tout homme italian, parlant tant secrètement que ce feust, seullement à la veue de ses gestes et mouvement des baulevres. « J'ay d'adventaige leu en authcur docte et ele- guant que Tyridates, roy de Arménie, on temps de Néron, visita Rome et feut receu en solennité honorable et pompes magnificques, afin de l'entre- tenir en amitié sempiternelle du Sénat et peuple PANTAGRUEL Io5 romain, et n'y eut chose mémorable en la cité qui ne luy feust monstrée et exposée. A son départe- ment, l'empereur luy feist dons grands et excessifz ; oultre, luy feist option de choisir ce que plus en Rome luy plairoit , avecques promesse jurée de non l'esconduire, quoy qu'il demandast. Il de- manda seullement un joueur de farces, lequel il avoit veu on théâtre, et ne entendent ce qu'il di- soit, entendoit ce qu'il exprimoit par signes et gesticulations, alléguant que soubs sa domination estoient peuples de divers languaiges, pour esquelz respondre et parler luy convenoit user de plusieurs truchemens ; il seul à tous suffiroit, car en matière de signifier par gestes estoit tant excellent qu'il sembloit parler des doigtz. Pourtant, vous fault choisir un mut sourd de nature, affin que ses gestes et signes vous soient naïfvement propheticques, non faincts, fardez, ne affectez. Reste encores sçavoir si tel advis voulez ou d'homme ou de femme prendre. — Je , respondit Panurge , voluntiers d'une femme le prendroys, ne feust que je crains deux choses: Tune, que les femmes, quelques choses qu'elles voyent, elles se repraesentent en leurs esperitz, elles pensent, elles imaginent que soit l'entrée du sacre Ithyphalle. Quelques gestes, si- gnes et maintiens que l'on face en leur veue et praesence, elles les interprètent et réfèrent à l'acte mouvent de belutaige. Pourtant y serions nous »4 Io6 LIVRE III, CHAPITRE XIX abusez, car la femme penseroit tous nos signes estre signes vénériens. Vous souvieigne de ce que advint en Rome deux cens Ix ans après la fonda- tion d'icelle. Un jeune gentil homme romain, ren- contrant on mons Ceelion une dame latine nommée Vérone, mute et sourde de nature, luy demanda avecques gesticulations italicques, en ignorance d'icelle surdité, quelz sénateurs elle avoit rencontré par la montée? Elle, non entendent ce qu'il disoit, imagina estre ce qu'elle pourpensoit, et ce que un jeune home naturellement demande d'une femme. Adoncques par signes, qui en amour sont incom- parablement plus attractifz, efficaces et vallables que parolles, le tira à part en sa maison; signes luy feist que le jeu luy plaisoit, en fin, sans de bouche mot dire, feirent beau bruit de culletis. « L'aultre, qu'elles ne feroient à nos signes res- ponse aulcune, elles soubdain tomberoient en ar- rière, comme reallement consententes à nos tacites demandes. Ou, si signes aulcuns nous faisoient responsifz à nos propositions, ilz seroient tant fol- lastres et ridicules que nous mesmes estimerions leurs pensemens estre venereicques. Vous sçavez comment à Croquignoles, quand la nonnain seur Fessue feut par le jeune briffault Dam Royddimet engroissée, et la groisse congnue , appellée par l'abesse en Chapitre et arguée de inceste, elle s'excusoit, alléguante que ce n'avoit esté de son consentement, ce avoit esté par violence et par la PANTAGRUEL IO7 force du frère Royddimet. L'abbesse, replicante et disante : « Meschante, c'estoit on dortouoir, pour- quoy ne crioys-tu à la force ? Nous toutes eussions couru à ton ayde. » Respondit qu'elle ne ausoit crier on dortouoir, pour ce qu'on dortouoir y a silence sempiternelle. « Mais, dist l'abbesse, mes- chante que tu es, pourquoy ne faisois tu signes à tes voisines de chambre? — Je, respondit la Fes- sue, leurs faisois signes du cul tant que povois, mais personne ne me secourut. — Mais, demanda l'abbesse, meschante, pourquoy incontinent ne me le veins tu dire et l'accuser reguliairement ? Ainsi eusse je faict, si le cas me feust advenu, pour de- monstrer mon innocence. — Pource, respondit la Fessue, que, craignante demourer en péché et estât de damnation, de paour que ne feusse de mort soubdaine praevenue, je me confessay à luy avant qu'il departist de la chambre, et il me bailla en pénitence non le dire ne déceler à personne. Trop énorme eust esté le péché révéler sa con- fession, et trop détestable, davant Dieu et les anges. Par adventure eust ce esté cause que le feu du Ciel eust ars toute l'abbaye, et toutes feussions tombées en abysme, avecques Datan et Abi- ron. » — Vous, dist Pantagruel, ja ne m'en ferez rire. Je sçay assez que toute moinerie moins crainct les commandemens de Dieu transgresser que leurs statutz provinciaulx. Prenez doncques un homme. o8 LIVRE m, CHAPITRE XIX Nazdecabre me semble idoine : il est mut et sourd de naissance. » CHAPITRE XX Comment Nazdecabre par signes respond à Panurge. AZDECABRE feut mandé, et au lende- main arriva. Panurge, à son arrivée, luy donna un veau gras, un demy pourceau, deux bussars de vin, une charge de bled et trente francs en menue mon- noye; puis le mena davant Pantagruel, et, en prse- sence des gentilz homes de chambre, luy feist tel signe : Il baisla assez longuement, et en baislant faisoit hors la bouche, avecques le poulce de la main dex- tre, la figure de la lettre grecque dicte Tau, par fréquentes réitérations; puis leva les yeulx au ciel et les tournoyoit en la teste comme une chèvre qui avorte, toussoit, ce faisant, et profondement sou- spiroit. Cela faict, monstroit le default de sa bra- guette; puys sous sa chemise print son pistolandier à plein poing, et le faisoit mélodieusement clicquer entre ses cuisses; se enclina, fléchissant le genoil guausche, et resta tenent ses deux bras sus la poic- trine lassez l'un sus l'aulire. Nazdecabre curieusement le reguardoit, puys leva la main guausche en l'aer, et retint clous en PANTAGRUEL I09 poing tous les doigtz d'icelle, excepté le poulce et le doigt indice, des quelz il accoubla mollement les deux ongles ensemble. (( J'entends, dist Pantagruel, ce qu'il prgetend par cestuy signe : il dénote mariage, et d'abondant le nombre trentenaire, scelon la profession des Py- thagoriens. Vous serez marié. — Grand mercy^ dist Panurge, se tournant vers Nazdecabre, mon petit architriclin, mon comité, mon algousan, mon sbire, mon barizel. » Puis leva en l'aër plus hault la dicte main guausche, extendent tous les cinq doigtz d'icelle, et les esloignant uns des aultres tant que esloigner povoit. « Icy, dist Pantagruel, plus amplement nous insinue, par signification du nombre quinaire, que serez marié. Et non-seulement effiancé, es- pousé et marié, mais en oultre que habiterez et serez bien avant de feste. Car Pythagoras appelîoit le nombre quinaire nombre nuptial, nopces et ma- riage consommé, pour ceste raison qu'il est com- posé de Trias, qui est nombre premier impar et superflu, et de Dyas, qui est nombre premier par, comme de masle et de femelle coublez ensemble- ment. De faict, à Rome, jadis, au jour des nopces, on allumoit cinq flambeaulx de cire, et n'estoit licite d'en allumer plus, feust es nopces des plus riches, ne moins, feust es nopces des plus indigens. D'advantaige, on temps passé, les Payens implo- roient cinq dieux, ou un dieu en cinq bénéfices. IIO LIVRE III, CHAPITRE XX SUS ceulx que l'on marioit : Juppiter nuptial; Juno, présidente de la feste ; Venus la belle ; Pytho, déesse de persuasion et beau parler, et Diane, pour secours on travail d'enfantement. — O, s'escria Panurge, le gentil Nazdecabre ! Je luy veulx donner une métairie prés Cinays et un moulin à vent en Mirebalais. » Ce faict, le mut esternua en insigne véhémence et concussion de tout le corps, se destournant à guausche. «Vertus beuf de boys, dist Pantagruel,, qu'est ce là ? Ce n'est à vostre adventaige. Il de- note que vostre mariage sera infauste et malheu- reux. Cestuy esternuement, scelon la doctrine de Terpsion, est le démon Socraticque, lequel, faict à dextre, signifie qu'en asceurance et hardiment on peut faire et aller ce et la part qu'on a délibéré, les entrée, progrés et succès seront bons et heu- reux; faict à guausche, au contraire. — Vous, dist Panurge, tous jours prenez les matières au pis, et tous jours obturbez, comme un aultre Davus. Je n'en croy rien. Et ne congneuz oncques sinon en déception ce vieulx trepelu Terpsion. — Toutes- foys, dist Pantagruel, Ciceron en dict je ne sçay quoy, on second livre De Divination. » Puys se tourne vers Nazdecabre, et luy faict tel signe : il renversa les paulpieres des yeulx contre mont, tortoit les mandibules de dextre en senestrc, tira la langue à demy hors la bouche. Ce faict, posa la main guausche ouverte, exceptez le mais- PANTAGRUEL III tre doigt, lequel retint perpendiculairement sus la paulme, et ainsi l'assist au lieu de sa braguette; la dextre retint clause en poing, exceptez le poulce, lequel droict il retourna arrière soubs l'escelle dex- tre, et l'assist au dessus des fesses, on lieu que les Arabes appellent al Katim. Soubdain après chan- gea, et la main dextre tint en forme de la se- nestre, et la posa sus le lieu de la braguette; la guausche tint en forme de la dextre, et la posa sus Val Katim. Cestuy changement de mains réitéra par neuf foys. A la neuviesme remist les paulpieres des yeulx en leur position naturelle; aussi feist les mandibules et la langue; puys jecta son regard biscle sus Nazdecabre, branlant les baulevres, comme font les cinges de séjour, et comme font les connins mangeans avoine en gerbe. Adoncques Nazdecabre éleva en l'aër la main dextre toute ouverte, puys mist le poulce d'icelle jusques à la première articulation entre la tierce joincture du maistre doigt et du doigt médical, les resserrant assez fort au tour du poulce, le reste des joinctures d'iceulx retirant on poing et droictz exten- dent les doigtz indice et petit. La main ainsi com- posée posa sus le nombril de Panurge, mouvent continuellement le poulce susdict, et appuyant icelle main sus les doigtz petit et indice comme sus deux jambes. Ainsi montoit d'icelle main successivement à travers le ventre, le stomach, la poictrine et le coul de Panurge; puys au menton et dedans la 112 LIVRE III, CHAPITRE XX bouche luy mist le susdict poulce branslant; puys luy en frota le nez, et, montant oultre aux yeulx, faignoit les luy vouloir crever avecques le poulce. A tant Panurge se fascha, et taschoit se défaire et retirer du mut. Mais Nazdecabre continuoit, luy touchant avecques celuy poulce branslant, mainte- nant les yeulx, maintenant le front et les limittesde son bonnet. En fin Panurge s'escria, disant : « Par Dieu, maistre fol, vous serez battu si ne me laissez; si plus me faschez, vous aurez de ma main un masque sus vostre paillard visaige. — Il est, dist lors frère Jan, sourd; il n'entend ce que tu luy diz, couillon. Faictz luy en signe une gresle de coups de poing sus le mourre. — Que diable, dist Panurge, veult praetendre ce maistre Alliboron? Il m'a presque poché les yeulx au beurre noir. Par Dieu, da ju- randi, je vous festoiray d*un banquet de nazardes, entrelardé de doubles chinquenaudes. » Puys le laissa, luy faisant la petarrade. Le mut, voyant Panurge démarcher, gaingna le davant, l'arresta par force, et luy feist tel signe : il baissa le braz dextre vers le genoil tant que po- voit l'extendre, clouant tous les doigtz en poing, et passant le poulce entre les doigtz maistre et indice; puys avecques la main guausche frottoit le dessus du coubte du susdict braz dextre, et peu à peu à ce frottement levoit en l'aër la main d'icelluy jus- qucs au coubte et au dessus; soubdain la rabaissoit PANTAGRUEL I I 5 comme davant, puys à intervalles la relevoit, la ra- baissoit et la monstroit à Panurge. Panurge, de ce fasché, leva le poing pour frap- per le mut; mais il rêvera la praesence de Panta- gruel, et se retint. Alors dist Pantagruel : « Si les signes vous faschent, ô quant vous fascheront les choses signifiées! Tout vraj à tout vraj consone. Le mut praetend et dénote que serez marié, coqu, battu et desrobbé. — Le mariage, dist Panurge, je concède; je nie le demourant, et vous prie me faire ce bien de croyreque jamais homme n'eut en femme et en chevaulx heur tel que m'est prédestiné. » CHAPITRE XXI Comment Panurge prent conseil d'ung vieil poète françois nommé Kaminagrobis. ' E ne pensoys, distjPantagruel, jamais '^^ rencontrer homme tant obstiné à ses iyX appréhensions comme je vous voj. b?=a Pour toutesfoys vostre doubte esclar- cir, suys d'advis que mouvons toute pierre. Enten- dez ma conception : les cycnes, qui sont oyseaulx sacrez à Apollo, ne chantent jamais, sinon quand ilz approchent de leur mort, mesmement en Meander, fleuve de Phrygie; je le diz pource que iElianus et Alexander Myndius escriveni en avoir ailleurs veu plusieurs mourir, mais nul chanter en mourant, de Rabelais, llï. i5 114 LIVRE III, CHAPITRE XXI mode que chant de c^ycne est praesaige certain de &a mort prochaine, et ne meurt que praealablement n'ayt chanté. Semblablement les poètes, qui sont en protection de Apollo, approchans de leur mort, ordinairement deviennent prophètes, et chantent par Apolline inspiration, vaticinans des choses fu- tures. « J'ay d'adventaige souvent ouy dire que tout homme vieulx, décrépit et prés de sa fin, facilement divine des cas advenir. Et me souvient que Aris- tophanes, en quelque comédie, appelle les gens vieulx Sibylles, 'O BÈ vÉptov ciêuXXta. « Car, comme nous, estans sus le moule, et de loing voyans les mariniers et voyagiers dedans leurs naufz en haulte mer, seulement en silence les con- sidérons, et bien prions pour leur prospère abour- dement; mais, lors qu'ilz approchent du havre, et par parolles et par gestes les saluons et congratu- lons de ce que à port de saulveté sont avecques nous arrivez, aussi les anges, les heroes, les bons daemons, scelon la doctrine des Platonicques, voyans les humains prochains de mort, comme de port tiés- ceur et salutaire, port de repous et de tranquilité, hors les troubles et sollicitudes terriencs, les saluent, les consolent, parlent avecques eulx, et ja commen- cent leurs communicquer art de divination. u Je ne vous allegueray exemples antiques do PANTAGRUEL IlD Isaac, de Jacob, de Patroclus envers Hector, de Hector envers Achilles, de Polynestor envers Aga- memnon et Hecuba, du Rhodien célébré par Posi- donius, de Calanus Indian envers Alexandre le grand, de Orodes envers Mezentius, et aultres; seulement vous veulx ramentevoir le docte et preux chevallier Guillaume du Bellay, seigneur jadis de Langey, lequel on mont de Tarare mourut le lo de janvier, l'an de son aage le climatere, et de nostre supputation l'an i543, en compte romanicque. Les troys et quatre heures avant son decés il employa en paroUes viguoureuses, en sens tranquil et serain nous prédisant ce que depuis part avons veu, part attendons advenir, combien que pour lors nous semblassent ces prophéties aulcunement abhor- rentes et estranges, par ne nous apparoistre cause ne signe aulcun présent prognostic de ce qu'il prae- disoit. «Nous avons icy, prés laVillaumere, un homme et vieulx et poëte : c'est Raminagrobis, lequel en secondes nopces espousa la grande Guorre, dont nasquit la belle Bazoche. J'ay entendu qu'il est en l'article et dernier moment de son decés. Trans- portez vous vers luy, et oyez son chant. Pourra estre que de luy aurez ce que praetendez, et par luy Apollo vostre doubte dissouldra. — Je le veulx, respondit Panurge. Allonsy, Epistemon, de ce pas, de paour que mort ne le praevieigne. Veulx tu venir, frère Jan ? — Je le veulx, respondit frère Jan, bien Il6 LIVRE m, CHAPITRE XXI voluntiers, pour l'amour de toy, couillette, car je t'ayme du bon du foye. » Sus l'heure feut par eulx chemin prins, et, arri- vans au logis poëticque, trouvèrent le bon vieillard en agonie, avecques maintien joyeulx, face ouverte et reguard lumineux. Panurge, le saluant, luy mist on doigt médical de la main guausche, en pur don, un anneau d'or en la palle duquel estoit un sapphyr oriental beau et ample; puys, à l'imitation de Socrates, luy offrit un beau coq blanc, lequel, incontinent posé sus son lict, la teste élevée en grande alaigresse, secoua son pennaige, puys chanta en bien hault ton. Cela faict, Panurge requist courtoisement dire et exposer son jugement sus le doubte du mariage praetendu. Le bon vieillard commenda luy estre apporté ancre, plume et papier. Le tout feut promptement livré. Adoncques escripvit ce que s'ensuyt : Prenez-la, ne la prenez pas. Si vous la prenez, c'est bien faict. Si ne la prenez, en effect, Ce sera œuvré par compas. Gualloppez, mais allez le pas. Reculiez, entrez y de faict. Prenez-la, ne [la prenez pas]. Jeusnez, prenez double repas, Defaictez ce qu'estoit r^ faict. Refaictez ce qu'estoit defaict. Soubhaytez-luy vie et irespas. Prenez-la, ne fia prenez pas]. PANTAGRUEL Puys leurs bailla en main et leurs dist : « Allez, enfans, en la guarde du grand Dieu des cieulx, et plus de cestuy affaire ne de aultre que soit ne me inquiétez. J'ay ce jourd'huy, qui est le dernier de may et de moy, hors ma maison, à grande fatigue et difficulté, chassé un tas de villaines, immondes et pestilentes bestes, noires, guarres, fauves, blan- ches, cendrées, grivolées, les quelles laisser ne me vouloient à mon aise mourir, et par fraudulentes poinctures, gruppemens harpyiacques, importunitez freslonnicques, toutes forgées en l'officine de ne sçay quelle insatiabilité, me evocquoient du doulx pensement on quel je acquiesçois, contemplant et voyant, et ja touchant et guoustant le bien et félicité que le bon Dieu apraeparé à ses fidèles et esleuzen l'aultre vie et estât de immortalité. Déclinez de leur voye, ne soyez à elles semblables; plus ne me mo- lestez, et me laissez en silence, je vous supply. » Il8 LIVRE III, CHAPITRE XXII CHAPITRE XXII Comment Panurge patrocine à l'ordre des fratrcs Mendians. SSANT de la chambre de Raminagrobis, Panurge, comme tout effrayé, dist : ^,t^ « Je croy, par la vertus Dieu, qu'il est hereticque, ou je me donne audiablc. Il mesdict des bons pères mendians Cordeliers et Jacobins, qui sont les deux hémisphères de la chris- tianté, et par la gyrognomonique circumbilivagina- tion desquelz, comme par deux fîlopendoles cœli- vages, toutl'antonomatic matagrabolisme del'Eclise romaine , soy sentente emburelucoquée d'aulcun baragouinage d'erreur ou de hasresie, homocentri- calement se trémousse. Mais que, tous les diables, luy ont faict les paouvres diables de Capussins et Minimes? Ne sont ilz assez meshaignez, les paou- vres diables? Ne sont ilz assez enfumez et perfumez de misère et calamité, les paouvres haires extraictz de ichthyophagie? Est il, frère Jan, par ta foy, en estât de salvation? Il s'en va, par Dieu, damné comme une serpe à trente mille bottées de diables. Mesdire de ces bons et vaillans piliers d'eclise ! Appeliez vous cela fureur poëticque? Je ne m'en peuz contenter; il pèche villainement, il blasphème contre la religion. J'en suys fort scandalisé. — Je, PANTAGRUEL II9 dist frère Jan, ne m'en soucie d'un bouton. Hz mesdisent de tout le monde; si tout le monde mes- dist d'eulx, je n'y prétends aulcun interest. Voyons ce qu'il a escript. » Panurge leut attentement l'escripture du bon vieillart, puys leur dist : « Il resve, le paouvre beuveur : je l'excuse toutesfoys ; je croy qu'il est près de sa fin. Allons faire son epitaphe. Par la response qu'il nous donne, je suys aussi saige que oncques puys ne fourneasmes nous. Escoute ça, Epistemon, mon bedon. Ne l'estimez tu pas bien résolu en ses responses? Il est, par Dieu, sophiste argut, ergoté et naïf. Je guaige qu'il est Marrabais. Ventre beuf ! comment il se donne guarde de mes- prendre en ses paroUes! Il ne respond que par dis- jonctives. Il ne peult ne dire vray, car à la vérité d'icelles suffîst l'une partie estre vraye. O quel patelineux! Sainct Jago de Bressuire, en est il encores de l'eraige? — Ainsi, respondit Epistemon, protestoit Tiresias, le grand vaticinateur, au commencement de toutes ses divinations, disant apertement à ceulx qui de luy prenoient advis : « Ce que je diray adviendra, ou ne adviendrapoinct. ;i Et est le style des prudens prognosticqueurs. — Toutesfoys, dist Panurge, Juno luy creva les deux yeulx. — Voyre, respondit Epistemon, par despit de ce que il avoit mieulx sententié que elle sus le doubte propousé par Juppiter. — Mais, dist Panurge, quel diable possède ce maistre Raminagrobis, qui I20 LIVRE III, CHAPITRE XXII ainsi sans propous, sans raison, sans occasion, mes- dictdes paouvres beatz pères Jacobins, Mineurs et Minimes? Je en sujs grandement scandalisé, je vous affie, et ne me en peuz taire. Il a grefvement péché. Son ame s'en va à trente mille panerées de diables. — Je ne vous entends poinct, respondit Epis- temon, et me scandalisez vous mesmes grandement, interprétant perversement des fratres Mendians ce que le bon poëte disoit des bestes noires , faulves et aultres. Il ne Tentend, scelon mon jugement, en telle sophisticqueet phantasticque allégorie. Il parle absolument et proprement des pusses, punaises, cirons, mousches , culices et aultres telles bestes, lesquelles sont unes noires, aultres fauves, aultres cendrées, aultres tannées et basanées, toutes im- portunes, tyrannicques et molestes, non es malades seulement, mais aussi à gens sains et viguoureux. Par adventure a il des ascarides, lumbriques et ver- mes dedans le corps; par adventure patist il, comme est en y£gypte et lieux confins de la mer Erithrée chose vulgaire et usitée, es bras ou jambes quelque poincture de draconneaulx grivolez, que les Arabes appellent Meden. Vous faictez mal, aultrement ex- pousant ses paroUes, et faictez tord au bon poëte par detraction, et es dictz fratres par imputation de tel meshain. Il fault tousjours de son presme inter- préter toutes choses à bien. — Aprenez moy, dist Panurgc, à congnoistre PANTAGRUEL 121 mousches en laict! Il est, par la vertus Dieu, haere- ticque. Je diz haereticque formé, haereticque clavelé, haereticque bruslable, comme une belle petite horo- loge. Son ame s'en va à trente mille charrettées de diables. Sçavez vous où? Cor Bieu, mon amy, droict dessoubs la scelle persée de Proserpine, de- dans le propre bassin infernal on quel elle rend l'opération fécale de ses clysteres, à cousté guaus- che de la grande chauldiere, à trois toises prés les gryphes de Lucifer, tirant vers la chambre noire de Demiourgon. Ho le villain ! » CHAPITRE XXIII Comment Panurge faict discours pour retourner à Kaminagrobis. ETOURNONS, dist Panurge, continuant, l'admonester de son salut. Allons on nom, allons en la vertus de Dieu. Ce sera œuvre charitable à nous faicte. Au moins, s^il perd le corps et la vie, qu'il ne damne son ame. Nous le induirons à contrition de son péché, à requérir pardon es dictz tant beatz pères, absens comme praesens, et en prendrons acte, affîn qu'après son trespas ilz ne le declairent haereticque et damné, comme les farfadetz feirent de la praevosté d'Orléans, et leurs satisfaire de l'oultrage, ordonnant par tous les convens de ceste i6 122 LIVRE III, CHAPITRE XXIII province aux bons pères religieux force bribes, force messes, force obitz et anniversaires, et que, au jour de son trespas, seinpiternellement ilz ayent tous quintuple pitance, et que le grand bourraba- quin, plein du meilleur, trote de ranco par leurs tables, tant des burgotz, lajz et brifîaulx, que des presbtres et des clercs, tant des novices que des profés. Ainsi pourra il de Dieu pardon avoir. « Ho, ho! je me abuse, et me esguare en mes discours! Le diable me emport si je y voys! Vertus Dieu! la chambre est desja pleine de diables. Je les oy desja soy pelaudans et entrebattans en diable à qui humera l'ame raminagrobidicque , et qui pre- mier de broc en bouc la portera à messer Lucifer. Houstez vous de là. Je ne y voys pas. Le diable me emport si je y voys ! Qui sçait s'ilz useroient de qui pro quo, et, en lieu de Raminagrobis, grup- peroient le paouvre Panurge quitte? Hz y ont maintes foys failly, estant safrané et endebté. Houstez vous de là. Je ne y voys pas. Je meurs, par Dieu , de maie raige de paour. Soy trouver entre diables affamez! entre diables de faction! entre diables negotians ! Houstez vous de là. Je guage que, par mesme doubte, à son enterrement n'assistera Jacobin, Cordelier, Carme, Capussin , Theatin ne Minime. Et culx saiges! Aussi bien ne leurs a il rien ordonné par testament. Le diable me emport si je y voys ! <( S'il est damne, à son dam. Pourquoy mesdisoit PANTAGRUEL il des bons pères de religion? Pour quoyies avoit il chassé hors sa chambre sus l'heure que il avoit plus de besoing de leur ayde, de leurs dévotes prières, de leurs sainctes admonitions? Pour quoy par tes- tament ne leurs ordonnoit il au moins quelques bribes, quelque bouffaige, quelque carreleure de ventre, aux paouvres gens, qui n'ont que leur vie en ce monde? Y aille qui vouldra aller. Le diable me emport si je y voys ! Si je y allois, le diable me emporteroit. Cancre ! Houstez vous de là ! « Frère Jan, veulx tu que présentement trente mille charretées de diables t'emportent? Pays trois choses: Baille moy ta bourse, car la croix est con- traire au charme, et te adviendroit ce que nagueres advint à Jan Dodin, recepveur du Couldray au gué de Vede, quand les gens d'armes rompirent les planches. Le pinart, rencontrant sus la rive frère Adam Couscoil, Cordelier observantin de Myre- beau, luy promist un habit, en condition qu'il le passast oultre l'eau à la cabre morte sus ses espaules, car c'estoit un puissant ribault. Le pacte feut accordé. Frère Couscoil se trousse jusques aux couilles, et charge à son dours , comme un beau petit sainct Christophle, le dict suppliant Dodin. Ainsi le portoit guayement, comme yEneas porta son père Anchises hors la conflagration de Troie, chantant un bel Ave, maris Stella. Quand ilz feurent au plus parfond du gué, au dessus de la roue du moulin, il luy demanda s'il avoit poinct d'argent 124 LIVRE III, CHAPITRE XXIII SUS luy. Dodin respondit qu'il en avoit pleine gib- bessiere, et qu'il ne se deffiast de la promesse faicte d'un habit neuf. « Comment ! disL frère Couscoil, « tu sçaiz bien que, par chapitre exprés de notre « reigle,il nous est riguoureusement défendu porter « argent sus nous. Malheureux es tu bien certes, <( qui me as faict pécher en ce poinct! Pourquoy « ne laissas tu ta bourse au meusnier? Sans faulte « tu en seras présentement puny, et si jamais je te « peuz tenir en nostre chapitre à Myrebeau , tu « auras du Miserere jusques à vitulos. » Soubdain se descharge, et vous jecte Dodin en pleine eau la teste au fond. « A cestu) exemple, frère Jan, mon amy doulx, affin que les diables t'emportent mieulx à ton aise, baille moy ta bourse, ne porte croix aulcune sus toy. Le danger y est évident. Ayant argent, por- tant croix, ilz te jecteront sus quelques rochiers, comme les aigles jectent les tortues pour les casser, tesmoing la teste pelée du poëte yEschylus , et tu te ferois mal, mon amy, j'en seroys bien fort marry, ou te laisseront tomber dedans quelque mer, je ne sçay où, bien loing, comme tomba Icarus, et seroit par après nommée la mer Entom- mericque. « Secondement, sois quitte, car les diables ayment fort les quittes, je le sçay bien, quant est de moy: les paillards ne cessent me mugueter et me faire la court, ce que ne souloient, estant safrané et endebté. PANTAGRUEL 125 L'ame d un nome endebté est toute hectique et dis- crasiée : ce n'est viande à diables. « Tiercement, avecques ton froc et ton domino de grobis, retourne à Raminagrobis. En cas que trente mille bateléesde diables ne t'emportent ainsi qualifié, je payeraj pinthe et fagot, et, si pour ta sceureté tu veulx compaignie avoir, ne me cherchez pas, non. Je t'en advise. Houstez vous de là, je n'y vojs pas. Le diable m'emport si je y voys ! — Je ne m'en souciroys, respondit frère Jan,pas tant par adventure que l'on diroyt, ayant mon brag- mard on poing. — Tu le prens bien, dist Panurge, et en parles comme docteur subtil en lard. On temps que j'estudiois à l'eschole de Tolete, le ré- vérend Père en diable Picatris, recteur de la faculté diabolologicque, nous disoit que naturellement les diables craignent la splendeur des espées, aussi bien que la lueur du soleil. De faict. Hercules, descendent en enfer à tous les diables, ne leurs feist tant de paour, ayant seulement sa peau de lion et sa massue, comme par après feist yEneas, estant couvert d'un harnoys resplendissant, et guarny de son bragmard bien à poinct fourby et desrouillé à l'ayde et conseil de la Sibylle Cumane. (( C'estoit, peut estre, la cause pourquoy le sei- gneur Jan Jacques Trivolse , mourant à Chartres, demanda son espée, et mourut l'espée nue on poing, s'escrimant tout autour du lict, comme vail- lant et chevalereux, et par ceste escrime mettant en 120 LIVRE 111, CHAPITRE XXIII fuyte tous les diables qui le guestoieni au passaige de la mort. « Quand on demande aux Massorethz etCabal- listes pourquoy les diables n'entrent jamais en pa- radis terrestre, ilz ne donnent aultre raison, sinon que à la porte est un chérubin tenent en main une espée flambante. Car, parlant en vraye diabolologie de Tolete, je confesse que les diables vrayement ne peuvent par coups d'espée mourir; mais je main- tiens, scelon la dicte diabolologie, qu'ilz peuvent patir solution de continuité, comme si tu couppois de travers avecques ton bragmard une flambe de feu ardent, ou une grosse et obscure fumée; et crient comme diables à ce sentement de solution, laquelle leurs est doloreuse en diable. «Quand tu voydsle hourtdedeux armées, pense tu, couillasse, que le bruyt si grand et horrible que l'on y oyt provienne des voix humaines, du hurtis des harnois, du clicquetis des bardes, du chaplisdes masses, du froissis des picques, du bris des lances, du cris des navrez, du son des tambours et trom- pettes, du bannissement des chevaulx, du tonnoire des escouppettes et canons? Il en est véritablement quelque chose, force est que le confesse. Mais le grand effroy et vacarme principal provient du deuil et ulement des diables, qui, là guestans pelle melle les paouvres âmes des blessez, reçoivent coups d'espée à l'improviste, et pâtissent solution en la continuité de leurs substances aérées et invisibles, PANTAGRUEL 127 comme si à quelque lacquais, crocquant les lardons de la broche, maistre Hordoux donnoit un coup de baston sus les doigts. Puys crient et ulent comme diables, comme Mars, quand il feut blessé par Diomedes davant Troie, Homère dict avoir crié en plus hault ton et plus horrificque effroy que ne fe- roient dix mille hommes ensemble. « Mais quoy! nous parlons de harnoys fourbiz et d'espées resplendentes. Ainsi n'est il de ton bragmard, car, par discontinuation de officier, et par faulte de opérer, il est, par ma foy, plus rouillé que la claveure d'un vieil charnier. Pourtant faiz de deux choses l'une: ou le desrouille bienàpoinct et guaillard, ou, le maintenant ainsi rouillé, guarde que ne retourne en la maison de Raminagrobis. De ma part, je n'y voys pas. Le diable m'emport si je y voys! » CHAPITRE XXIV Comment Panurge prend conseil de Epistemon. AissANS la Villaumere, et retournans vers Pantagruel, par le chemin Panurge s'adressa à Epistemon , et luy dist : « Compère, mon antique amy, vous voyez la perplexité de mon esprit. Vous sçavez tant de bons remèdes. Me sçauriez vous secourir? » Epistemon print le propous, et remonstroit à Pa- 128 LIVRE III, CHAPITRE XXJV nurge comment la voix publicque estoit toute con- sommée en mocqueries de son desguisement, et luy conseilloit prendre quelque peu de ellébore, affin de purger cestuy humeur en luy peccant, et re- prendre ses accoustremens ordinaires. « Je suys, dist Panurge, Epistemon, mon compère, en phan- tasie de me marier, mais je crains estre coqu et in- fortuné en mon mariage. Pourtant ay je faict veu à sainct François le jeune, lequel est au Plessis-lez- Tours reclamé de toutes femmes en grande dévotion , car il est premier fondateur des Bons Hommes, les- quelz elles appetent naturellement, porter lunettes au bonnet, ne porter braguette en chausses, que sus ceste mienne perplexité d'esprit je n'aye eu re- solution aperte. — C'est, dist Epistemon, vraye- ment ung beau et joyeulx veu. Je me esbahys de vous que ne retournez à vous mesmes, et que ne revocquez vos sens de ce farouche esguarement en leur tranquillité naturelle. Vous entendent parler, me faictez souvenir du veu des Argives à la large perrucque, les quelz, ayans perdu la bataille contre les Lacedaemoniens en la controverse de Tyrée, feirent veu cheveux en teste ne porter jusques à ce qu'ilz eussent recouvert leur honneur et leur terre; du veu aussi du plaisant Hespaignol Michel Doris, qui porta le trançon de grève en sa jambe. Et ne sçay lequel des deux seroit plus digne et méritant porter chapperon verd et jausne à aurcilles de lièvre, ou icelluy glorieux champion, ou Enguerrant, qui PANTAGRUEL I 29 en faict le tant long, curieux et fascheux compte, oubliant l'art et manière d'escrire histoires, baillée par le philosophe Samosatoys ; car, lisant icelluy long narré, l'on pense que doibve estre commencement et occasion de quelque forte guerre ou insigne mu- tation des royaulmes; mais, en fin de compte, on se mocque et du benoist champion, et de l'Angloys qui le deffia, et de Enguerrant leur tabellion, plus baveux qu'un pot à moustarde. La mocquerie est telle que de la montaigne d'Horace, laquelle cryoit et lamentoyt énormément, comme femme en tra- vail d'enfant. A son cris et lamentation accourut tout le voisinaige, en expectation de veoir quelque admirable et monstrueux enfantement, mais en fin ne nasquit d'elle qu'une petite souriz. — Non pourtant, dist Panurge, je m'en soubrys. Se mocquequi clocque. Ainsi feray comme porte mon veu. Or, long temps a que avons ensemble, vous et moy, foy et amitié jurée par Jupiter Philios. Dictez m'en vostre advis: me doibz je marier, ou non? — Certes, respondit Epistemon, le cas esthazar- deux; je me sens par trop insuffisant à la resolution. Et si jamais feut vray en l'art de medicine le dict du vieil Hippocrates de Lango : Jugement difficile^ il est en cestuy endroict verissime. J'ay bien en ima- gination quelques discours moyennans les quelz nous aurions détermination sus vostre perplexité ; mais ilz ne me satisfont poinct apertement. Aulcuns Platonicques disent que qui peut veoir son Genius Rabelais. III . 17 l3o LIVRE III, CHAPITRE XXIV peut entendre ses destinées. Je ne comprens pas bien leur discipline, et ne suys d'advis que y adhaerez : il y a de l'abus beaucoup. J'en ay veu l'expérience en un gentil homme studieux et curieux on pays d'Estangourre. C'est le poinct premier. « Un aultre y a. Si encores regnoient les oracles de Juppiter en Amon , de Apollo en Lebadie, Delphes, Delos, Cyrrhe, Patare, Tegyres, Preneste, Lycie, Colophon; en la fontaine Castallie, prés Antioche en Syrie, entre les Branchides; deBacchus enDodone; de Mercure en Phares, prés Patras; de Apis euiEgypte; de Serapis enCanobe; de Faunus en Maenalie et en Albunée, prés de Tivoli; de Tyresias en Orchomene, de Mopsus en Cilicie, d'Orpheus en Lesbos, de Trophonius en Leucadie, je seroys d'advis, paradventure non seroys, y aller et entendre quel scroit leur jugement sus vostreen- treprinse. Mais vous sçavez que tous sont devenuz plus mutz que poissons, depuys la venue de celluy roy servatcur, onquel ont prins fin tous oracles et toutes prophéties, comme, advcnente la lumière du clair soleil, disparent tous lutins, lamies, lémures, guaroux, farfadetz et tenebrions Ores toutesfoys qu'encores feussent en règne, ne conseilleroys je facillemcnt adjousterfoy à leurs rcsponses. Trop de gens y ont este trompez. D'adventaige, je me re- corde queAgrippine mist sus à Lollie la belle avoir interrogué l'oracle de Apollo Clariiis pour entendre si mariée elle seroit avecqucs Claudius l'Empereur PANTAGRUEL l3l Pour ceste cause feut premièrement bannie, et de- puis à mort ignominieusement mise. — Mais, dist Panurge, faisons mieulx : les Isles Ogygies ne sont loing du Port Sam-Ma!o; faisons y un voyage après qu'aurons parlé à nostre Roy. En l'une des quatre, laquelle plus a son aspect vers soleil couchant, on dict, je l'ay leu en bons et an- tiques autheurs, habiter plusieurs divinateurs, vati- cinateurs et prophètes, y estre Saturne lié de belles chaînes d'or dedans une roche d'or, alimenté de ambrosie et nectar divin, les quelz journellement luy sont des cieulx transmis en abundance par ne sçay quelle espèce d'oizeaulx, peut estre que sont les mesmes corbeaulx qui alimentoient es desers sainct Paul premier hermite, et apertement prédire à un chascun qui veult entendre son sort, sa des- tinée , et ce que luy doibt advenir, car les Parces rien ne fîUent, Juppiter rien ne propense et rien ne délibère, que le bon père en dormant ne con- gnoisse. Ce nous seroit grande abbreviation de la- beur si nous le oyons un peu sus ceste mienne per- plexité. — C'est, respondit Epistemon, abus trop évident et fable trop fabuleuse. Je ne iray pas. » LIVRE III, CHAPITRE XXV CHAPITRE XXV Comment Pamirge se conseille à Her Trippa. ^-^ OYEZ cy, dist Epistemon, continuant, toutesfoys que ferez avant que retour- nons vers nostie Roy^ si me croyez. Icy,prés l'isle Bouchart, demeure Her Trippa. Vous sçavez comment, par art de astrologie, geomantie, chiromantie, metopomantie et aultresde pareille farine, il praedict toutes choses futures; conférons de vostre affaire avecques luy. — De cela, respondit Panurge.je ne sçay rien. Bien sçay je que, luy un jour parlant au grand Roy des cho- ses célestes et transcendentes, les lacquais de court, par les degrez, entre les huys, sabouloient sa femme à plaisir, laquelle estoit assez bellastre. Et il, voyant toutes choses cetherées et terrestres sans bezicles, discourant de tous cas passez et praesens, praedisant tout l'advenir, seulement ne voioit sa femme brimballante, et oncques n'en sceut les nou- velles. Bien, allons vers luy, puys qu'ainsi le voulez. On ne sçauroit trop apprendre. » Au lendemain arrivèrent au logis de Her Trippa. Panurge luy donna une robbe de peau de loup, une grande espée bastarde bien dorée à fourreau de velours, et cinquante beaulx angelots, puis fa- miliairement avecques luy conféra de son affaire. De première venue, Her Trippa, le regardant PANTAGRUEL l33 en face, dist : « Tu as la metaposcopie et physio- nomie d'un coqu. Je ày coqu scandale et diffamé. » Puys, considérant la main dextre de Panurge en tous endroictz, dist: « Ce faulx traict que je voy icy au dessus du mons Jovis oncques ne feut qu'en la main d'un coqu. » Puys avecques un style feist hastivement certain nombre de poinctz divers, les accoubla par geomantie, et dist: « Plus vraye n'est la vérité qu'il est certain que seras coqu bien tost après que seras marié. » Cela faict, demanda à Panurge l'horoscope de sa nativité. Panurge luy ayant baillé, il fabrica promptement sa maison du ciel en toutes ses parties, et, consyderant l'assiete et les aspectz en leurs triplicitez, jecta un grand souspir, et dist : « J'avois ja praedict apertement que tu serois coqu; à cela tu ne povoys faillir. Icy j'en ay d'abondant asceurance nouvelle, et te afferme que tu seras coqu. D'adventaige , seras de ta femme battu, et d*elle seras desrobbé, car je trouve la septiesme maison en aspectz tous malings, et en batterie de tous signes portans cornes, comme Aries, Taurus, Ca- pricorne et aultres. En la carte, je trouve décadence de Jovisj ensemble aspect tetragone de Saturne, associé de Mercure. Tu seras bien poyvré, homme de bien. — Je seray, respondit Panurge, tes fortes fieb- vres quartaines, vieulx fol, sot mal plaisant que tu es. Quand tous coqus s'assembleront, tu porteras 134 LIVRE III, CHAPITRE XXV la baniere. Mais dont me vient ce cyron icy entre ces deux doigtz? )^ Cela disoit tirant droict vers Her Trippa les deux premiers doigtz ouvers en forme de deux cornes, et fermant on poing tous les aultres; puys dist à Epistemon : « Voyez cy le vray Ollus de Martial, lequel tout son estude addonnoit à observer et entendre les maulx et misères d'aultruy, ce pendent sa femme tenoit le brelant. Il , de son cousté , paouvre plus que ne feut Irus, au demourant glorieux, oultrecuydé, in- tolérable, plus que dixsept diables, en un mot, TTTcoxaXa^wv, comme bien proprement telle peaul- traille de belistrandiers nommoient les anciens. Allons, laissons icy ce fol enraigé, mat de cathene, ravasser tout son saoul avecques ses diables privez. Je croirois tantost que les diables voulussent servir un tel marault. Il ne sçait le premier traict de phi- losophie, qui est : Congnois toy, et, se glorifiant veoir un festu en l'œil d'aultruy, ne void une grosse souche laquelle luy poche les deux yeulx. C'est un tel Polypragmon que descript Plutarche. C'est une aultre Lamie, laquelle en maisons estranges, en public, entre le commun peuple, voyant plus pe- netramment qu'un oince, en sa maison propre estoit plus aveugle qu'une taulpe: chés soy rien ne voioyt, car, retournant du dehors en son privé , oustoit de sa teste ses yeulx exemptiles comme lunettes, et les cachoit dedans un sabot attaché darriere la porte de son logis. » PANTAGRUEL l35 A ces motz print Her Trippa un rameau de ta- marix. « Il prend bien, dist Epistemon : Nicander la nomme divinatrice. — Voulez vous, dist Her Trippa, en sçavoir plus amplement la vérité par pyromantie, par aëromantie, célébrée par Aristo- phanes en ses Nuées, par hydromantie, par lecano- mantie, tant jadis célébrée entre les Assyriens et exprovée par Hermolaus Barbarus? Dedans un bassin plein d'eau je te monstrerayta femme future brimballant avecques deux rustres. — Quand, dist Panurge, tu mettras ton nez en mon cul, soys recors de deschausser tes lunettes. — Par catoptromantie, dist Her Trippa , continuant, moyennant laquelle Didius Julianus, empereur de Rome, praevoyoit tout ce que luy doibvoit advenir : il ne te fauldra poinct de lunettes. Tu la voyras en un mirouoir brisgoutant aussi apertement que si je te la mons- trois en la fontaine du temple de Minerve prés Patras. Par coscinomantie, jadis tant religieusement observée entre les cerimonies des Romains : ayons un crible et des forcettes, tu voyras diables. Par alphitomantie, designée par Theocrite en sa Phar- maccutrie, et par aleuromantie, meslant du froment avecques de la farine. Par astragalomantie : j'ay céans les projectz tous pretz. Par tyromantie: j'ay un fromaige de Brehemont à propous. Par gyro- mantie : je te feray icy tournoyer force cercles, les quels tous tomberont à gausche, je t'en asceure. Par sternomantie : par ma foy tu as le pictz assez mal l36 LIVRE III, CHAPITRE XXV proportionné. Par libanomantie : il ne fault qu'un peu d'encent. Par gastromantie, de laquelle en Ferrare longuement usa la dame JacobaRhodogine engastrimythe. Par cephaleonomantie, de laquelle user souloient les Alemans, routissans la teste d'un asne sus des charbons ardens. Par ceiomantie : là, par la cire fondue en eaue, tu voiras la figure de ta femme et de ses taboureurs. Par capnomantie : sus des charbons ardens nous mettrons de la semence de pavot et de sisame. O chose gualante ! Par axinomantie : fais icy provision seulement d'une coingnée et d'une pierre gagate, la quelle nous metterons sus la braze. O comment Homère en use bravement envers les amoureux de Pénélope ? Par onymantie : ayons de l'huylle et de la cire. Par tephramantie: tu voiras la cendre en l'aër figurante ta femme en bel estât. Par botanomantie : j'ay icy des fueilles de saulge à propos. Par sycomantie, ô art divine ! en feueilles de flguier. Par ichthyomantie, tant jadis célébrée et practiquée par Tiresias et Polydamas, aussi certainement que jadis estoit faict en la fosse Dina on bois sacré à Apollo, en la terre des Lyciens. Par chœromantie : ayons force pour- ceaulxj'tu en auras la vescie. Par cleromantie, comme l'on trouve la febve on guasteau la vigile de l'Epiphane. Par anthromantie, de laquelle usa Heliogabalus, empereur de Rome : elle est quelque peu fascheuse, mais tu l'endureras assez, puis que tu es destiné coqu. Par stichomantie sibylline ; par PANTAGRUEL 3? onomatomantie. Comment as tu nom? — Masche- merde, respondit Panurge. — Ou bien par alec- tryomantie : je feray icj un cerne gualantement, lequel je partiray, toy voyant et considérant, en vingt et quatre portions equales. Sus chascune je figureray une lettre de l'alphabet : sus chascune lettre je poseray un grain de froment, puys lasche- ray un beau coq vierge à travers. Vous voirez, je vous affie , qu'il mangera les grains posez sus les lettres C. O. Q. U. S. E. R, A. aussi fatidicquement comme soubs l'empereur Va- lens, estant en perplexité de sçavoir le nom de son successeur, le coc vaticinateur et alectryomantic mangea sus les lettres 0.E.O.A. « Voulez vous en sçavoir par l'art de aruspicine, par extispicine, par augure prins du vol des oyzeauJx, du chant des oscines, du bal solistime des canes. — Par estronspicine, respondit Panurge. — Ou bien par necromantie? Je vous feray soubdain resusciter quelqu'un peu cy devant mort, comme feist Apollo- nius de Tyane envers Achilles, comme feist la Phi- tonisse en prsesence de Saul, lequel nous en dira le totage, ne plus ne moins que à l'invocation de Erictho un deffunct praedist à Pompée tout le pro- grés et issue de la bataille Pharsalicque; ou, si avez paour des mors, comme ont naturellement tous coquz, je useray seulement de sciomantie. 18 l38 LI\RE III, CHAPITRE XXV — Va, respondit Panurge, fol enraigé, au diable, et te faiz lanterner à quelque Albanoys, si auras un chapeau poinctu. Diable, que ne me conseillez tu aussi bien tenir une esmeraulde , ou la pierre de hyène, soubs la langue? ou me munir de langues depuputzet de cœurs de ranes verdesPou manger du cœur et du foye de quelque dracon , pour, à la voix et au chant des cycnes et oizeaulx, entendre mes destinées, comme faisoient jadis les Arabes on pays de Mésopotamie? A trente diables soit le coqu, cornu, marrane, sorcier au diable, enchanteur de l'Antichrist! (' Retournons vers nostre Roy. Je suys asceuré que de nous content ne sera, s'il entend une foys que soyons icy venuz en la tesniere de ce diable engiponné. Je me repens d'y estre venu, et donne- rois voluntiers cent nobles et quatorze roturiers, en condition que celluy qui jadis souffloit on fond de mes chausses, praesentement de son crachatz luy enluminast les moustaches. Vray Dieu! comment il m'a perfumé de fascherie et diablerie, de charme et de sorcellerie ! Le diable le puisse emporter ! Dictez Amen, et allons boyre. Je ne feray bonne chère de deux, non de quatre jours. » PANTAGRUEL 39. CHAPITRE XXVI Comment Panurge prent conseil de frère Jan des Entommcures. ANURGE estoit fasché des propous de Her Trippa, et, avoir passé la bour- gade de Huymes, s'adressa à frère Jan, et luy dist becguetant et soy grattant l'aureille guausche: « Tien moy un peu joyeulx, mon bedon. Je me sens tout matagrabolisé en mon esprit des propous de ce fol endiablé. Escoute, Couillon mignon, Couillon moignon, c. pâté, c. plombé, c. feutré, c. madré, c. de stuc. Arabesque, de renom, naté, laicté, calfaté, relevé, c. de Grotesque, c. asseré. troussé à la levresque,c. antiquaire, asceuré, c. guarancé, calandre, c. requamé, diapré, c. estamé, c. martelé, c. entrelardé, c. juré, c. bourgeois, c. grené, c. d'esmorche, ".I^O LIVRE III, CHAPITRE XXVI c. endesvé, c. goildronné, c. palletoqué, c. aposté, c. lyripipié, c. désiré, c. vernissé, c. d'ebene, c. debresil, c. de bouys, - c. organizé, c. Latin, c. de passe, c. à croc, c. d'estoc, c. effréné, c. forcené, c. affecte, c. entassé, c. compassé, c. farcy, c. bouffy, c. polly, c. jolly, c. poudrebif, c. brandif, c. positif, c. gérondif, c. génitif, c. actu, c. gigantal, c- vital, c. oval, c. magistral, c. claustral, c. monachal, c. viril, c. subtil, de respect, c. de relés, c. de séjour, c. d'audace, c. massif, c. lascii, c. manuel, c. guoulu, c. absolu, c. résolu, c. membru, c. cabus, c. gémeau, c. courtoys, c. Turquoys, c. fécond, c. brislant, c. sifflant, c. estrillant. c. gent. PANTAGRUEL c. urgent, c. banier, c. duisant, c. brusquet, c. prompt, c. prinsaultier, c. fortuné, c. clabault, c. coyrault, c. usual, c. de haulte lisse. c. exquis, c. requis. c. fallot. c. cullot, c. picardent, c. de raphe, c. Guelphe, c. ursin. c. de triage. c. deparaige, c. de mesnage, c. patronymicque, c. pouppin, c. Guespin, c. d'Alidada, c. d'Algamala, c. d'Algebra, c. robuste. c. venuste. c. d'appétit, c. insuperable, c. secourable, c. agréable. c. redoubtable. c. espovantable, c. affable. c. profitable. c. mémorable. c. notable. c. palpable, c. musculeux, c. bardable. c. subsidiaire. c. tragicque. c. satyricque. c. Transpontin, c. repercussif. c. digestif, c. convulsif, c. incarnatif. c restauratif. c. sigillatif. c. masculinant. c. ronssinant, c. baudouinant, c. refaict, c. fulminant, 141 42 LIVRE III, CHAPITRE XXVI c. tonnant, c. estincelant. c. martelant, c. arietant. c. strident, c. aromatisant, c. timpant, c. diaspermatisant c. pimpant, t. ronflant, c. paillard, c. pillard, c. guaillard, c. hochant. c. brochant. c. talochant. c. avorté, c. eschalloté, c. syndicqué. c. farfouillant. c. belutant. c. culbutant, « Couillon hacquebutant,couillon cuUetant, frère Jan mon amy, je te porte révérence bien grande, et te reservoys à bonne bouche; je te prie, diz raoy ton advis. Me dois je marier ou non? » Frère Jan luy respondit en alaigresse d'esprit, disant: « Marye toy de par le diable, marie toy, et carrillonne à doubles carrillons de couillons. Je diz et entends le plus toust que faire pourras. Dés huy au soir faiz en crier les bancs et le challit. Vertus Dieu ! à quand te veulx tu reserver ? Sçaiz tu pas bien que la fin du monde approche? Nous en sommes huy plus prés de deux trabutz et demie toise que n'estions avant hier. L'Antichrist est desja né, ce m'a l'on dict. Vray est que il ne faict en- cores que esgratigner sa nourrisse et ses gouver- nantes, et ne monstre encores les thesaurs, car il est encores petit. Crescitc. Nos qui vivimus, multipli- PANTAGRUEL 1^3 camini, il est escript. C'est matière de bréviaire. Tant que le sac de bled ne vaille trois patacz, et le bussart de vin que six blancs. Vouldrois tu bien qu'on te trouvast les couilles pleines au jugement? Dum venerit judicare ? — Tu as, dit Panurge, Tesprit moult limpide et serain, frère Jan, couillon métropolitain, et parles pertinemment. C'est ce dont Leander deAbyde en Asie, nageant par la mer Hellesponte pour visiter s'amie Hero de Seste en Europe, prioit Neptune et tous les dieux marins : Si en allant je suys de vous choyé, Peu au retour me chault d'estre noyé. « Il ne vouloit poinct mourir les couilles pleines. Et suys d'advis que dorénavant, en tout mon Sal- migondinojs, quand on vouldra par justice exécuter quelque malfaicteur, un jour ou deux davant, on le face brisgoutter en onocrotale, si bien que en tous ses vases spermaticques ne reste de quoy protraire ung. Y gregoys. Chose si précieuse ne doibt estre follement perdue. Par adventure engendrera il un home : ainsi mourra il sans regret, laissant home pour home. » 144 I-IVRE III, CHAPITRE XXVII CHAPITRE XXVII Comment frcrc Jan joyeusement conseille Panurge. AR sainct Rigomé, dist frère Jan, Pa- nurge, mon amy doulx, je ne te con- seille chose que je ne feisse, sij'estoys en ton lieu. Seulement ayez esguard et consyderation de tous jours bien lier et continuer tes coups. Si tu y fays intermission, tu es perdu, paouvret, et t'adviendra ce que advient es nour- risses. Si elles désistent alaicter enfans, elles per- dent leur laict. Si continuellement ne exercez ta mentule, elle perdra son laict, et ne te servira que de pissotière; les couilles pareillement ne te servi- ront que de gibbessieres. Je t'en advise^ mon amy. J'en ay veu l'expérience en plusieurs qui ne l'ont peu quand ilz vouloient, car ne Pavoient faict quand le povoient. Aussi par non usaige sont perduz tous privilèges, ce disent les clercs. Pourtant, fillol, maintien tout ce bas et menu populaire troglodyte en estât de labouraige sempiternel. Donne ordre qu*ilz ne vivent en gentilz homes, de leurs rantes, sans rien faire. — Ne dea, respondit Panurge, frère Jan, mon couillon guausche, je te croiray. Tu vas rondement en besogne. Sans exception ne ambages tu m'as apertement dissolu toute craincte qui me povoit intimider. Ainsi te soit donné des cieulx tousjours PANTAGRUEL 146 bas et roydde opérer. Or, doncques, àtaparolle, je me mariray, il n'y aura poînct de faulte ; et si auray tousjours belles chambrières, quand tu me viendras veoir, et seras protecteur de leur sororité. Voylà quand à la première partie du sermon. — Escoute, dist frère Jan, l'oracle des cloches de Varenes : que disent elles ? — Je les entends, respondit Panurge. Leur son est, par ma soif, plus fatidicque que des chauldrons de Juppiter en Dodone. Escoute: Marie toy, marie toy; Marie, marie. Si tu te marie, marie, Tresbien t'en trouveras, veras, veraî, Marie, marie. « Je teasseureque je me mariray; tous les elemens me y invitent. Ce mot te soit comme une muraille de bronze. « Quant au second poinct, tu me semblés aulcu- nement doubter, voyre deffier, de ma paternité, comme ayant peu favorable le roydde dieu des jardins. Je te supply me faire ce bien de croire que je l'ay à commandement, docile, bénévole, attentif, obéissant en tout et par tout. Il ne luy fault que lascher les longes, je diz l'aiguillette, lui monstrer de prés la proye, et dire : a Haie, compaignon ! « Et, quand ma femme future seroit aussi gloutte du plaisir vénérien que feut oncques Messalina, ou la marquise de Oinsestre en Angleterre, je te prie Rabelais. III. m Idb LIVRE III, CHAPITRE XXVII croire que je l'ay encores plus copieux au conten- tement. « Je ne ignore que Salomon dict, et en parloil comme clerc et sçavant. Depuys luy, Aristoteles a declairé l'estre des femmes estredesoy insatiable, mais je veulx qu'on saiche que, de mesme qualibre, j'ay le ferrement infatiguable. Ne me allègue poinct ici en paragon les fabuleux ribaulx Hercules, Pro- culus, Csesar et Mahumet, qui se vente en sonAl- choran avoir en ses genitoires la force de soixante guallefretiers. Il a menty, le paillard. a Ne me alléguez poinct l'Indian tant célébré par Theophraste, Pline et Athenœus, lequel, avecques l'ayde de certaine herbe, le faisoit en un jour soixante et dix fois et plus. Je n'en croy rien, le nombre est supposé : je te prie ne le croyre. Je te prie croire, et ne croyras chose que nesoitvraye, mon naturel, le sacre Ityphalle, Messer Cotai d'Al- bingues , estre le prime dcl monde. Escoute çà , couillette. Veidz tu oncques le froc du moine de Castres? Quand on le posoit en quelque maison, feust à descouvert, feust à cachettes, soubdain par sa vertus horrificque tous les manens et habitansdu lieu entroient en ruyt, bestes et gens, homes et femmes, jusques aux ratz et aux chatz. Je te jure qu'en ma braguette j'ay aultres foys congneu cer- taine énergie encore plus anomale. Je ne te par- leray de maison ne de buron , de sermon ne de marché, mais, à la passion qu'on jouoit à sainct PANTAGRUEL 47 Maixent, entrant un jour dedans le parquet, je veidz par la vertus et occulte propriété d'icelle, soubdainement tous, tant joueurs que spectateurs, entrer en tentation si terrificque qu'il ne y eut ange, home, diable, ne diablesse, qui ne voulust biscoter. Le portecole abandonna sa copie, celluy qui jouoit sainct Michel descendit par la volerie, les diables sortirent d'enfer et y emportoient toutes ces paovres femmelettes, mesme Lucifer se des- chayna. Somme, voyant le desarroy, je debarquay du lieu, à l'exemple de Caton le Censorin, lequel, voyant par sa prsesence les festes Floralies en des- ordre, désista estre spectateur. » CHAPITRE XXVIII Comment frcrc Jan reconforte Paniirge sus le doiibtc du coqiiage. E t'entends , dist frère Jan ; mais le temps matte toutes choses. Il n'est le marbre ne le porphyre qui n'ayt sa vieillesse et décadence. Si tu ne en es là pour ceste heure , peu d'années après subsé- quentes je te oiray confessant que les couilles pendent à plusieurs par faulte de gibbessieres. Desja voy je ton poil grison-ner en teste. Ta barbe, par les distinctions du gris, du blanc, du tanné et du noir, me semble une mappemonde. Reguarde icy : 140 LIVRE III, CHAPITRE XXVIII voy là Asie; icy sont Tigris ei Euphrates; voy là Afrique ; icy est la montaigne de la Lune ; voydz tu les paluz du Nil? Deçà est Europe; voydz tu Theleme? Ce touppet icy tout blanc, sont les Mons Hyperborées. Par ma soif, mon amy, quand les neiges sont es montaignes, je diz la teste et le menton , il n'y a pas grand chaleur par les valées de la braguette. — Tes maies mules, respondit Panurge. Tu n'entends pas les Topiques. Quand la neige est sus les montaignes, la fouldre, l'esclair, les lanciz, le mau lubec, le rouge grenat, le tonnoire, la tem- peste, tous les diables sont par les vallées. En veulx tu veoir l'expérience ? Va on pays de Souisse, et considère le lac de Wunderberlich, à quatre lieues de Berne, tirant vers Sion. Tu me reproches mon poil grisonnant, et ne consydere poinct comment il est de la nature des pourreaux, es quelz nous voyons la teste blanche, et la queue verde, droite et vigoureuse. « Vrayestqueen moy je recongnois quelque signe indicatif de vieillesse, je diz verde vieillesse, ne le diz à personne. Il demourera secret entre nous deux. C'est que je trouve le vin meilleur et plus à mon goust savoureux que ne soulois, plus que ne souloisjecrainslarencontredu mauvais vin. Noteque cela argue je ne sçay quoy du ponent, et signifie que le midy est passé. Mais quoy? Gentil compai- gnon tousjours, autant ou plus que jamais ; je ne PANTAGRUEL 149 crains pas cela, de par le diable; ce n'est là où me deult. Je crains que, par quelque longue absence de nostre roy Pantagruel, au quel force est que je face compaignie, voire allast il à tous les diables, ma femme me face coqu. Voy là le mot peremptoire. Car tous ceulx a qui j'en ay parlé me en menassent, et afferment qu'il me est ainsi prasdestiné des cieulx, — Il n'est, respondit frère Jan, coqu qui veult. Si tu es coqu, crgo ta femme sera belle ; ergo tu seras bien traicté d'elle; ergo tu auras des amis beaucoup ; ergo tu seras saulvé. Ce sont Topicques monachales. Tu ne en vauldras que mieulx, pécheur; tu ne feuz jamais si aise; tu n'y trouveras rien moins; ton bien acroislra d'advantaige. S'il est ainsi prsedestiné, y vouldrois tu contrevenir? diz , Couillon flatry, c. moisy. c. rouy, c. chaumeny, c. poitry d'eaue froyde, c. pendillant, c. transy, c. avallé, c. fené, c. esrené, c. de faillance, c. hallebrené, c. prosterné, c. engroué, c. ecremé, appellant, guavasche, esgrené, incongru, forbeu, lanterné, embrené , c. amadoué, c. exprimé, 5( LIVRE II!, CHAPITRE XXVIII c. supprime, c. rétif, c. moulu, c. dissolu, c. morfondu, c. dyscrasié, c. disgratié, c. flacque, c. esgoutté, c. acravante, c. escharbotté, c. mitre, c. baratté, c. bimbelotté, c. entouillé, c. vuidé, c. chagrin, c. démanché, c. véreux, c. vesneux, c. malandré, c. thlasié, c. spadonicque, c historié, c. farineux, c. hergneux, c. gangreneux, c. eroustclevé, c. dépenaillé, c. chetif, c. putatif, c. mervoulu, c. courbatu, c. malautru, c. biscarié, c. liegé, c. diaphane, c. desgousté. c. chippoté, c. hallebotté, c. chapitré, c. chicquané, c. eschaubouille c. barbouillé, c. riddé, c. hâve, c. morné, c. pesneux, c. forbeu, c. meshaigné, c. thlibié, c. sphacelé, c. deshinguandé, c. farcineux, c. varicqueux, c. véreux, c, esclopé, c. franfreluché. PANTAGRUEL c. , matté, C. frelatté, , guoguelu, c. farfelu. trepelu , c. mitonné, c. trépané, c. boucané. c. basané, c. effilé, c. éviré, c. vietdazé, c. feuilleté. c. mariné. c. estiomené, c. extirpé. c. etrippé, c. constippé. c. nieblé. c. gresié, c. syncopé, c. soufleté, c. ripoppé, c, buffeté. c. dechicqueté, c. corneté. c. ventouse, c. talemousé, c. effructé, c. balafré. c. gersé. c. eruyté, c. pantois, c. putois. c. fusté, c. poulsé. c. de godalle, c . frilleux , c. fistuleux, c. scrupuleux. c. langoureux, c. fellé, c. malefîcié, c. rance, c. hectique, c. diminutif, c. usé, c. tintalorisé. c. quinault, c. marpault. c. matagrabolisé. c. rouillé. c. macéré, c. indague. c. paralyticque, c. antidaté, c. dégradé. c. manchot, i5i i5: LIVRE lil, CHAPITRE XXVI II c. perclus, c. confus, c. de ratepenade, c. maussade. c. de petarrade. c. acablé, c. halle, c. assablé. c. dessiré. c. désolé, c. hebeté, c. décadent. c. cornant, c. solœcisant, c. appellant, c. mince, c. barré, c. ulcéré. c. assassiné, c. bobeliné. c. devalizé. c. engourdely c. anonchaly, c. aneanty, c. de matafain, c. de zéro, c. badelorié, c. frippé, c. deschalandé, c. febricitant. « Couillonnas au diable, Panurge mon amy , puys qu'ainsi t'est praedestiné, vouldrois tu faire retrogader les planètes , démancher toutes les sphaeres célestes, propouser erreur aux Intelligences motrices, espoincter les fuzeaulx, articuler les ver- toilz, calumnier les bobines, reprocher les detri- choueres, condempner les frondrillons, defîller les pelotons des Parces? Tes fîebvres quartaines, couillu ! tu ferois pis que les Géants. Vien çà, couil- laud. Aimerois tu mieulx estre jaloux sans cause que coqu sans congnoissance ? — Je ne vouldrois, respondit Panurge, estre ne l'un ne l'aultre. Mais, si j'en suys une fois adverty. PANTAGRUEL iSi je y donneray bon ordre, ou bastons fauldront on monde. Ma foy, frère Jan, mon meilleur serapoinct ne me marier. Escoute que me disent les cloches à ceste heure que sommes plus prés : Marie poinct, marie poinct, Poinct, poinct, poinct, poinct. Si tu te marie, marie poinct, marie poinct, Poinct, poinct, poinct, poinct, Tu t'en repentiras, tiras, tiras; Coqu seras. « Digne vertus de Dieu ! je commence entrer en fascherie. Vous aultres, cerveaulz enfrocquez, n'y sçavez vous remède aulcun ? Nature a elle tant destitué les humains que l'homme marié ne puisse passer ce monde sans tomber es goulphres et dan- giers de coqùage? — Je te veulx, dist frère Jan, enseigner un expédient moyenant lequel jamais ta femme ne te fera coqu sans ton sceu et ton consentement. — Je t'en prie, dist Panurge , couillon velouté; or diz, mon amy. — Prends, dist frère Jan, l'anneau de Hans Carvel, grand lapidaire du roy de Melinde. Hans Carvel estoit home docte, expert, studieux, home de bien, de bons sens, de bon jugement, débonnaire, charitable, aulmonsnier, philosophe; joyeulx au reste, bon compaignon , et raillart , si oncques en feut; ventru quelque peu, branslants de teste, et auculnement malaisé de sa personne. Sus ses vieux jours, il espousa la fille du baillif Con- l54 LIVRE III, CHAPITRE XXVII î cordât, jeune, belle, frisque, gualante, advenente, gratieuse par trop envers ses voisins et serviteurs. Dont advint, en succession de quelques hebdomades, qu'il en devint jalous comme ung tigre, et entra en soubson qu'elle se faisoit tabourer les fesses d'ail- leurs; pour à la quelle chose obvier lui faisoit tout plein de beaulx comptes touchant les désolations advenues par adultère, luy lisoit souvent la Légende des preudcs femmes, h ^vescho'ii de pudicité, luy feist un livre des louanges de fidélité conjugale, détestant fort et ferme la meschanceté des ribauldes mariées, et luy donna un beau carcan tout couvert de sapphyrs orientaulx. Ce non obstant, il la voioyt tant délibérée et de bonne chère avecques ses voi- sins que de plus en plus croissoit sa jalousie. Une nuyct, entre les aultres, estant avecques elle couché en telles passions, songea qu'il parloit au diable et qu'il luy comptoit ses doléances. Le diable le re- confoitoit, et luy mist un anneau on maistre doigt, disant : « Je te donne cestuy anneau : tandis que l'auras on doigt, ta femme ne sera d'aultruy char- nellement congneue sans ton sceu et consentement. — Grand mercy, dist Hans Caivel, Monsieur le diable. Je renye Mahon si jamais on me Poste du doigt. » Le diable disparut, Hans Carvel tout joyeulx s'esveigla, et trouva qu'il avoit le doigt on comment a nom de sa femme. Je oubliois à compter comment sa femme, le sentent, reculait le cul en arrière, comme disant: ^ tenant de Fonsbeton. Sus l'apport de la seconde table, Panurge en parfonde révé- rence dist : « Messieurs, il n'est question que d'un mot. Me doibs-je marier ou non ? Si par vous n'est mon doubte dissolu, je le tiens pour insoluble comme sont Insolubilia de Alliaco. Car vous estes tous esleuz, choisiz et triez, chascun respectivement en son estât, comme beaulx pois sus le volet. » Le Père Hippothadée, à la semonce de Panta- gruel et révérence de tous les assistans , respondit en modestie incroyable : « Mon amy, vous nous demandez conseil, mais premier fault que vous mesmes vous conseillez. Sentez vous importunement en vostre corps les ai- guillons de la chair? — Bien fort, respondit Panurge, PANTAGRUEL I 59 ne VOUS desplaise, nostre Père. — Nonfaictil, clist Hippothadée, mon amy. Mais, en cestuj estrif. avez vous de Dieu le don et grâce spéciale de continence? — Ma foy non, respondit Panurgc. — Mariez vous donc, mon amy, dist Hippothadée, car trop meilleur est soy marier que ardre on feu de concupiscence. — C'est parlé cela, s'escria Pa- nurge, gualantement, sans circumbilivaginer au tour du pot. Grand mercy, monsieur nostre Père. Je me mariray sans poinct de faulte , et bien tost; je vous convie à mes nopces. Corpe de galline, nous ferons chère lie. Vous aurez de ma livrée, et si mangerons de l'oye , cor beuf, que ma femme ne roustira poinct. Encores vous priray je mener la première danse des pucelles, s'il vous plaist me faire tant de bien et d'honneur, pour la pareille. Reste un petit scrupule à rompre. Petit, diz je, moins que rien. Seray je point coqu ? — Nenny dea, mon amy, respondit Hippothadée, si Dieu plaist. — O ! la vertus de Dieu, s''escria Panurge, nous soyt en ayde ! Où me renvoyez vous, bonnes gens? Aux condi- tionales, les quelles en dialectique reçoivent toutes contradictions et impossibiUtez, Si mon mulet Transalpin voloit, mon mulet Transalpin auroit aesles. Si Dieu plaist, je ne serai point coqu; je seray coqu, si Dieu plaist. Dea, si feust condition à laquelle je peusse obvier, je ne me desespererois du tout. Mais vous me remettez au conseil privé de Dieu, en la chambre de ses menuz plaisirs. Où Ibo LIVRE III, CHAPITRE XXX prenez vous le chemin pour y aller, vous aultres François? Monsieur nostre Père, je croy que vostre mieulx sera ne venir pas à mes nopces, le bruyt et la triballe des gens de nopces vous romperoient tout le testament. Vous aymez repous, silence et solitude, vous n'y viendrez pas, ce croy je. Et puis vous dansez assez mal, et seriez honteux menant le premier bal. Je vous envoiray du rillé en vostre chambre, de la livrée nuptiale aussy. Vous boirez à nous, s'il vous plaist. — Mon amy, dist Hippothadée, prenez bien mes parolles, je vous en prie. Quand je vous diz : S'il plaist à Dieu, vous fays je tort? Est ce mal parlé ? Est ce condition blasphème ou scandaleuse? N'est ce honorer le Seigneur créateur, protecteur, servateur? N'est ce le recongnoistre unicque'dateur de tout bien? N'est ce nous declairer tous dépendre de sa bénignité? Rien sans luy n'estre, rien ne valoir, rien ne povoir, si sa saincte grâce n'est sus nous infuse? N'est ce mettre exception canonicque à toutes nos entreprinses, et tout ce que proposons remettre à ce que sera disposé par sa saincte volunté, tant es cieulx comme en la terre? N'est ce vérita- blement sanctifier son benoist nom? Mon amy, vous ne serez poinct coqu, si Dieu plaist. Pour sçavoir sur ce quel est son plaisir, ne fault entrer en desespoir, comme de chose absconse et pour la- quelle entendre fauldroit consulter son conseil privé, et voyager en la chambre de ses tressainctz plaisirs. PANTAGRUEL l6l Le bon Dieu nous a faict ce bien , qu'ilz nous les a révélez, annoncez, declairez et apertement pro « eo<5fuo(i)). Pour- tant sont comme à vous aultres, Messieurs, à nous consécutivement, quia accessorium naturam sequitur principalis, De reg. jur. lib. vj, et L: Cum principalis, et L Nihil dolo., ff. eod. titu.; ff. De fîdejusso., l. Fidejussor, et Extra. De ofp. ddeg., c. ;"., concédez certains jeulx d'exercice honneste et récréatif, jf. De al. lus. et aleat., l. Soient, et Autent. Ut omnes obediant, in princ, coll. vij, et ff. Deprxscript. verb., l. Si gratuitam., et l. \j, C. : De spect., lib. xj, et telle est l'opinion D. Thomx, in Secunda Secundx, quxst. clxviij, bien à propousalleguéeparD. ^/ber. de Kos., lequel fuit magnus practicus et docteur solennel, comme atteste Barbatia in prin. Consil. La raison est exposée per Gl. in Prxmio ff., § Ne autem tertii : Interpone tuis interdum gaudia curis. (( De faict, un jour, en l'an 1489, ayant quelque affaire bursal en la chambre de Messieurs les gene- raulx, et y entrant par permission pécuniaire de l'huissier, comme vous aultres, Messieurs, sçavez que pecunix obediunt omnia, et l'a dict Bald. in l. Sin- gularia, ff. Si certum pet., et Salie, in l. Keceptitia, 206 LIVRE m, CHAPITRE XL C. De constit.pecun., et Card., in Cle. j, De haptis., je les trouvay tous jouans à la mousche par exer- cice salubre, avant le past ou après, il m'est indif- fèrent, pourveu que hic no. que le jeu de la mousche est honneste, salubre, antique et légal, à Musco in- ventore, de quo C, De petit, hscred., l. Si post motam, et Muscarii.j.j ceulx qui jouent à la mousche sont excusables de droict, /. ;_, C.,De excus, artif., lib. X. Et pour lors estoit de mousche M. Tielman Picquet, il m'en soubvient, et rioyt de ce que Messieurs de la dicte chambre guastoient tous leurs bonnetz à force de luy dauber ses espaules; les disoit ce nonobstant n'estre de ce deguast de bonnetz excusables au retour du Palais envers leurs femmes^ par c. y. Extra. De prxsump., et ibi Gl. « Or, resolutorie loquendo,']e diroys, comme vous aultres, Messieurs, qu'il n'est exercice tel, ne plus aromatisan en ce monde palatin, que vuider sacs, feuilleter papiers, quotter cayers, emplir paniers et visiter procès, ex Bart. et Jo. de Pra., in l. Falsa de condit. et de mon. ff. « Tiercementj comme vous aultres, Messieurs, je considère que le temps meurist toutes choses; par temps toutes choses viennent en évidence; le temps est père de vérité, Gl. in l. j, C. De Servit. Autent., De restit. et ea qux pa., et Spec. cit.. De requis, cons. C'est pourquoy, comme vous aultres. Messieurs, je sursoye, délaye et diffère le jugement, affin que le procès, bien ventilé, grabelé et debatu, PANTAGRUEL 207 vieigne par succession de temps à sa maturité, et le sort par après advenent soit plus doulcettement porté des parties condemnées, comme no. Glo.^ ff. De excu. tut., l. Tria onera : Portatur leviter, quod portât quisque libenter. « Le jugeant crud, verd et au commencement, dangier seroit de l'inconvénient que disent les me- dicins advenir quand on perse un aposteme avant qu'il soit meur, quand on purge du corps humain quelque humeur nuysant avant sa concoction. Car, comme est escript in Autent., hxc Constit. Inno. const.,inprin.,et\e rejeté Gl. inc. Cœterum^ Extra., De jura, calum. : Quod medicamenta morbis exhi- bent, hoc jura negotiis. Nature d'adventaige nous instruict cuillir et manger les fruictz quand ils sont meurs, Instit., De re. di., § 7s ad quem, etff. De acti. empt., l. Julianus, marier les filles quand elles sont meures, ff. D. donat. int. vir. et uxo., l. Cum hic status, § Si quia sponsa, et xxvij Q^, j c, sicut dict Gl. : Jam matura thoris plenis adoleverat annis Virginitas, « Rien ne faire qu'en toute maturité^ xxiij Q., C. ij, § ult., clxxxiij d., c. ult. » LIVRE m, CHAPITRE XLI CHAPITRE XLI Comment Brid'oye narre l'histoire de l'apoincteur de procès. L me soubvient à ce propous, disl .Brid'oye continuant, que, on temps Q^^ ^^^^<îue j'estudiois à Poictiers en droicl, «^k.4s^-W^i^soubs Brocadium Juris , estoit à Se- mervé un nommé Perrin Dendin, home honorable, bon laboureur, bien chantant au letrain, home de crédit et aagé autant que le plus de vous aultres, Messieurs, lequel disoit avoir veu le grand bon home Concile de Latran, avecques son gros chap- peau rouge; ensemble la bonne dame Pragma- ticque Sanction, sa femme, avecques son large tissu de satin pers et ses grosses patenostres de gayet. « Cestuy home de bien apoinctoit plus de procès qu'il n'en estoit vuidé en tout le Palais de Poic- tiers, en l'Auditoire de Monsmorillon, en la Halle de Parthenay le Vieulx, ce que le faisoit vénérable en tout le voisinage, de Chauvigny, Nouaillé, Croutelles, Aisgne, Legugé, La Motte, Lusignan, Vivonne, Mezeaulx, Estables et lieux confins. Tous les debatz, procès et differens estoient par son de- vis vuidez, comme par juge souverain, quoy que juge ne feust, mais home de bien. Arg. in /. Scd si uniuSj ff. De jurejii., et De verb. oblig., l. Con- tinuas. PANTAGRUEL 209 « Il n'estoit tué pourceau en tout le voisinage dont il n'eust de la bastille et des boudins, et estoit presque tous les jours de banquet, de festin, de nopces, de commeraige, de relevailles, et en la ta- verne, pour faire quelque apoinctement, entendez, car jamais n*apoinctoit les parties qu'il ne les feist boyre ensemble, par symbole de reconciliation, d'accord perfaict et de nouvelle joye, ut no. per Doct., ff. De péri, et Comm. Kei vend., l. j. « Il eut un fîlz nommé Tenot Dendin, grand hardeau et gualant home, ainsi m'aist Dieu, lequel semblablement voulut s'entremettre d'apoincter les plaidoians, comme vous sçavez que Ssepe solet similis fiUus esse patri. Et sequitur kviler filia matris iter. Ut ait GL, vj q., j c. : Si quis ; G. De cons., q. v, c. j fi.; et est no. per Doct., c. De impu. et aliis suhst., l. ult. et l. Légitima, ff. De stat. hom., Gl. in l. Qiiod si nolit, ff. De cdil. éd., l. Quis, C. ad le. Jul. majest. — excipio fîlios a moniali susceptos ex monacho , — per Gl. in c. : Impudicas , xxvij , et se nommoit en ses tiltres : l'Apoincteur des procès. « En cestuy négoce tant estoit actif et vigilant, car vigilantibus jura suhveniunt, ex l. Pupillus, ff. Qux in fraud. cred., et ibid. l. : Non enim, et In- stit. in Proœmio, que, incontinent qu'il sentoit, ut ff. Si quad. pau. fcc, l. Agaso, GL in verbo a 01- Rabelais. III, 27 2IO LIVRE III, CHAPITRE XLI fecit » I. « nasum ad culum posait ;>, et entendoit par pays estre meu procès ou débat, il se ingeroit d'apoincter les parties. « Il est escript : Qui non lahorat, non manig€- ducat, et le dict GL, ff. De dam. infect., l. Quam- vis, et currere plus que le pas Vetulam compellit egestas; GL, ff. De lib. agnos., l. Si quis pro qua facit; l. Si plures, C. De cond. inccr. « Mais en tel affaire il feut tant malheureux que jamais n'apoincta différent quelconques, tant petit feust il que sçauriez dire; en lieu de les apoincter, il les irritoit et aigrissoit d'adventaige. « Vous sçavez, Messieurs, que Sermo daiur cunctis, animi sapientia paucis, GL, ff. De alie. ju. mu. caus. fa., l. ij, et disoient les taverniers de Semarvé que, soubs luy, en un an, ilz n'avoient tant vendu de vin d'apoinctation, ainsi nommoient ilz le bon vin de Legugé, comme ilz faisoient soubz son père en demie heure. Ad- vint qu'il s'en plaignit à son père, et referoit les causes de ce meshaing en la perversité des homes de son temps, franchement luy objectant que, si on temps jadis le monde eust esté ainsi pervers, play- doiart, detravé et inapoinctable, il son père n'eust acquis l'honneur et tiltre d^Apoinctcur tant irréfra- gable comme il avoit. « En quoy faisoit Tenot contre le droict, par PANTAGRUEL 211 lequel est es enfans défendu reprocher leurs propres pères, per Gl. et Bart., l. iij, § Si quis, ff. De condi. ob caus.f et Autent., De nup., § Sed quod sanci- tum, Coll. iiij. « Il faut, respondit Perrin, faire aul trament, Dendin, mon filz. Or, Quand oportet vient en place, Il convient qu'ainsi se face. C. De appell., l. Eos etiam. Ce n'est là que gist le lièvre. « Tu n'apoincte jamais les differens. Pourquoy ? Tu les prens dés le commencement, estans encores verds et cruds. Je les apoincte tous. Pourquoy? Je les prens sur leur fin, bien meurs et digérez. Ainsi dict Gl. : Dulcior est fructus post multa pericula ductus, l. Non morituriis, Ç. De contrah. et commit, stip. « Ne sçais tu qu'on dict, en proverbe commun, heureux estre le médecin qui est appelé sus la de- clination de la maladie ? La maladie de soy critic- quoit et tendoit à fin, encores que le médecin n'y survint. Mes plaidoieurs semblablement de soy mesmes declinoient on dernier but de playdoirie, car leurs bourses estoient vuides; de soy cessoient poursuyvre et solliciter; plus d'aubert n*estoit en fouillouse pour solliciter et poursuyvre. Déficiente pecu, déficit omne, nia. 212 LIVRE III, CHAPITRE XLI « Manquoit seulement quelqu'un qui feust comme paranjmphe et médiateur, qui premier parlast d'apoinctement, pour soy saulver l'une et l'aultre partie de ceste pernicieuse honte qu'on eust dict : « Cestuy cy premier s'est rendu ; il a premier parlé « d'apoinctement; il a esté las le premier; il n'avoit « le meilleur droict ; il sentoit que le bast le bles- « soit. » Là, Dendin, je me trouve à propous, comme lard en poys; c'est mon heur, c'est mon guaing, c'est ma bonne fortune. « Et te diz, Dendin, mon fîlz jolly, que par ceste méthode je pourrois paix mettre, ou trêves pour le moins, entre le grand Roy et les Vénitiens, entre l'empereur et les Suisses , entre les Anglois et Escossois, entre le pape et les Ferrarois. Iray je plus loingPCe m'aist Dieu, entre le Turc et le Sophy, entre les Tartres et les Moscovites. Entends bien : je les prendrois sus l'instant que les uns et les aultres seroient las de guerroier, qu'ilz auroient vuidé leurs coffres, expuisé les bourses de leurs sub- jectz, vendu leur dommaine, hypothéqué leurs ter- res, consumé leurs vivres et munitions. Là, de par Dieu ou de par sa Mère, force forcée leurs est re- spirer et leurs felonnics modérer. C'est la doctrine in Gl. xxxvij, d. c : Si quando : Odero si potero ; si non, in^'itus amaho. » PANTAGRUEL 2l3 CHAPITRE XLII Comment naissent les procès^ et comment Hz viennent à perfection. 'est pourquoy, dist Brid'oye, conti- nuant, comme vous aultres, Messieurs, je temporize, attendant la maturité -.^S^êS^du procès et sa perfection en tous membres : ce sont escriptures et sacs. Arg. in l. Si major. j C. Commu. divi. et De cons., d. j, C. So- lennitateSj et ibi Gl. « Un procès à sa naissance première me semble, comme à vous aultres, Messieurs, informe et im- parfaict. Comme un ours naissant n'a pieds ne mains, peau, poil ne teste; ce n'est qu'une pièce de chair rude et informe ; l'ourse, à force de lei- cher, la mect en perfection des membres, ut no. Doct., ff. ad kg. Aquil., l. ij, in fi. « Ainsi voy je, comme vous aultres. Messieurs, naistre les procès, à leurs commencemens, informes et sans membres; ilz n'ont qu'une pièce ou deux : c'est pour lors une laide beste. Mais, lors qu'ilz sont bien entassez, enchâssez et ensachez, on les peut vrayement dire membruz et formez. Car forma dat esse rei, l. Si is qui, ff. ad. leg. Falci. in c. Cum dilecta, Extra.; De rescrip.;Barbatia,Consil. \2, lib. 1, et davantluy BaXd. in c. Ult. Extra. De consue., et 214 LIVRE m, CHAPITRE XLII /. Julianus, ff. Ad exib., et l. Quœsitum, ff. De lega. iij. La manière est telle que dict Gl.,p. q.jc. Paulus : Débile principium metior foriuna sequetur. Comme vous aultres, Messieurs^ semblablement les sergens, huissiers, appariteurs, chiquaneurs, procu- reurs, commissaires, advocatz, enquesteurs, tabel- lions, notaires, grephiers et juges pedanées, De quibus tit. est lib. iij Cod., sugsants bien fort et continuellement les bourses des parties, engendrent à leurs procès teste, pieds, gryphes, bec, dents, mains, venes, artères, nerfz, muscles, humeurs; ce sont les sacs ; G/. De cons., d. iiij, c. Accepisti. Qualis l'estis erit, talia corda gerit. Hic no. qu'en ceste qualité plus heureux sont les plaidoyans que les ministres de justice, car beatius est dare quam accipere, ff. Comm., l. iij. et Extra. De célébra. Miss.j c. Ciim Marthx, ef 24 Ç^., j c, c. Odi., Gl. Affectum dantis pensât censura tonantis. <( Ainsi rendent le procès perfaict, gualant et bien formé, comme dict Gl. Can. : Accipe, sume, cape, sunt verba placentia Papx. « Ce que plus apcrtement a dict Albcr. de Kos., in vcrb. Konna : PANTAGRUEL 2l5 Roma manus rodit; quas rodere non valet, odii; Dantes custodit ; non dantes spernît et odit. « Raison pourquoy? Ad prssens ova cras pullis sunt meliora, ut est Glo., in l. Quuin /ii, ff. De transac. L'incon- vénient du contraire est mis in Gl. C. De allu., l. fi. : Cum labor in damno est, crescit mortalis egestas. « La vraye etjmologie de Procès est en ce qu'il doibt avoir en ses prochatz prou sacs. Et en avons brocards deificques : Litigando jura crescunt ; Liti- gando jus acquiritur ; Item Gl. in c. Illud, Ext. De prœsumpt.j et C. De prob., l. Instrumenta, L Non epistolisy l. Non nudis. Et, cum non prosunt singula, multa juvant. — Voyre mais, demandoit Trinquamelle, mon amy, comment procédez vous en action criminelle, la partie coupable prinse flagrante crimine ? — Comme vous aultres, Messieurs, respondit Brid'oye : je laisse et commande au demandeur dormir bien fort pour l'entrée du procès, puys davant moy con- venir, me apportant bonne et juridicque attestation de son dormir, scelon la Gl. 32^ Q. vij, c. : Si quis cum, Quandoque bonus dormitat Homerus. Cestuy acte engendre quelque aultre membre; de 2:6 LIVRE III, CHAPITRE XLII celuy là naist un aultre, comme Maille à maille est faict le aubergeon. En fin, je trouve le procès bien par informations formé et perfaict en ses membres. Adoncques je retourne à mes dez. Et n'est par moy telle interpollation sans raison faicte et expérience notable. « Il me soubvient que on camp de Stokolm, un Guascon nommé Gratianauld, natif de Sain-Sever, ayant perdu au jeu tout son argent, et de ce gran- dement fasché, comme vous sçavez que pecunia est alter sanguis^ ut ait Anto. de Butrio in c. accedens, ij, Extra., Ut lit. non contest., et Bald. in l. Si tuis, C. De op. li. per no., et l. Advocati, C. De advo. div. jud. : Pecunia est vita hominis, et optimus fîde- jussor in necessitatibus, à l'issue du berland, davant tous ses compaignons, disoit à haulte voix : « Pao « cap de bious, hillotz, que maulx de pippe bous « tresbyre; ares que pergudes sont les mies bingt « et quouatte baguettes, ta pla donnerien picz, a trucz et patactz. Sey degun de bous aulx, qui « boille truquar ambe iou à belz embiz? » Ne res- pondent personne, il passe on camp des Hondres- pondres, et reïteroit ces mesmes parolles, les invi- tant à combattre avecques luy. Mais les susdictz disoient : « Der Guascongner thut schich usz mitt « eim jedem ze schlagen, aber er ist geneigter zu « staelen ; darumb, lieben frauven , hend serg zu « unscrm hausraut. » Et ne se olîril au combat personne de leur ligue. PANTAGRUEL 217 « Pourtant passe le Guascon au camp des adven- turiers François, disant ce que dessus, et les invitant au combat guaillardement avecques petites gam- bades guasconiques. Mais personne ne luy respondit. Lors le Guascon au bout du camp se coucha, prés les tentes du gros Christian , chevallier de Crissé, et s'endormit. Sus l'heure un adventurier, ayant pa- reillement perdu tout son argent, sortit avecques son espée, en ferme délibération de combattre avecques le Guascon, veu qu'il avoit perdu comme luy : Ploratur lachrymis amissa pecunia vtris, dict Glos.De pœnitent.f dist3, c.Suntplures. Defaict, l'ayant cherché par my le camp, finablement le trouva endormy. Adoncques luy dist : « Sus ! ho ! « hillot de tous les diables, levé toy : j'ay perdu « mon argent aussi bien que toy. Allons nous « battre guaillard, et bien à poinct frotter nostre « lard. Advise que mon verdun ne soit poinct plus « long que ton espade. » Le Guascon tout es- blouy luy respondit : « Cap de Sainct Arnault, « quau seys tu, qui me rebelliez? Que mau de « taouerne te gyre ! Ho ! Sainct Siobé, Cap de (( Guascoigne ! ta pla dormie ïou, quand aquoest « taquain mebingutestée. » L'adventurier leinvitoit derechef au combat; mais le Guascon lui dist: « Hé paovret, ïou te esquinerie, ares que son pla « reposât. Vayne un pauc qui te posar com ïou, 28 2IÔ LIVRE III, CHAPITRE XLII « puesse truqueren. » Avecques l'oubliance de sa perte il avoit perdu l'envie de combatre. Somme, en lieu de se batre et soy par adventure entretuer, ilz allèrent boire ensemble, chascun sus son espée. Le sommeil avoit faict ce bien, et pacifié la fla- grante fureur des deux bons champions. « Là compete le mot doré de Joan. And. in c. ult. De sent, et re judic, libro sexto : Sedendo et quiescendo fît anima prudens. CHAPITRE XLIII Comment Pantagruel excuse Brid'oye sus les jugemens faitz au sort des dez. TANT se teut Brid'oye. Trinquamelle luy commanda issir hors la chambre du parquet, ce que feut faict. Alors dist à Pantagruel : « Raison veult, Prince tresauguste, non par l'o- bligation seulement en laquelle vous tenez par infinis bien faictz cestuy parlement et tout le mar- quisat de Myrelingues, mais aussi par le bon sens, discret jugement et admirable doctrine que le grand Dieu dateur de tous biens a en vous posé, que vous présentons la décision de ceste matière tant nouvelle, tant paradoxe et extrange de Brid'oye, qui, vous présent, voyant et entendent, a confessé juger au sort des dez. Si vous prions que en veueillez PANTAGRUEL 219 sententier comme vous semblera juridicque et ^équitable. » A ce respondit Pantagruel : « Messieurs, mon estât n'est en profession de décider procès, comme bien sçavez; mais, puysque vous plaist me faire tant d'honneur, en lieu de faire office de juge, je tiendraj lieu de suppliant. En Brid'oye je recongnois plusieurs qualitez, par les quelles me sembleroit pardon du cas advenu mé- riter : premièrement vieillesse, secondement sim- plesse, es quelles deux vous entendez trop mieulx quelle facilité de pardon et excuse de mesfaict nos droictz et nos loix oultroyent. Tiercement, je re- congnois un aultre cas pareillement en nos droictz deduict à la faveur de Brid'oye : c'est que ceste unicque faulte doibt estre abolie, extaincte et absorbée en la mer immense de tant d'équitables sentences, qu'il a donné par le passé, et que par quarante ans et plus on n'a en luy trouvé acte digne de reprehension, comme si en la rivière de Loyre je jectois une goutte d'eaue de mer, pour ceste unicque goutte, persone ne la sentiroit^ personne ne la diroit sallée. « Et me semble qu'il y a je ne sçay quoy de Dieu qui a faict et dispensé qu'à ces jugemens de sort toutes les précédentes sentences ayent esté trouvées bonnes en ceste vostre vénérable et sou- veraine court, lequel, comme sçavez, veult souvent sa gloire apparoistre en l'hebetation des saiges, 220 LIVRE III, CHAPITRE XLIII en la dépression des puissans et en l'érection des simples et humbles. Je mettray en obmission toutes ces choses. Seulement vous priray, non par celle obligation que prétendez à ma maison, laquelle je ne recongnois, mais par l'affection syncere que de toute ancienneté avez en nous congneue, tant deçà que delà Loyre, en la mainctenue de vostre estât et dignitez, que pour ceste fois luy veueillez pardon oultroyer, et ce en deulx conditions : pre- mièrement, ayant satisfaict ou protestant satisfaire à la partie condemnée par la sentence dont est question, à cestuy article je donneray bon ordre et contentement; secondement, qu'en subside de son office vous lui bailliez quelqu'un plus jeune, docte, prudent, périt et vertueux conseiller, à l'ad- vis duquel dorénavant fera ses procédures judi- ciaires. (( En cas que le voulussiez totalement de son office déposer, je vous priray bien fort me en faire un présent et pur don. Je trouveray par mes royaulmes lieux assez et estatz pour l'employer et me en servir. A tant suppliray le bon Dieu créateur, servateur et dateur de tous biens, en sa saincte gruce perpétuellement vous maintenir. » Ces motz ditz, Pantagruel feist révérence à toute la court et sortit hors le parquet. A la porte trouva Panurge, Epistemon, Frère Jan et aultres. Là mon- tèrent à cheval pour s'en retourner vers Gargantua. Par le chemin, Pantagruel leur comptoit de poinct PANTAGRUEL 221 en poinct l'histoire du jugement de Brid'oye. Frère Jan dist qu'il avoit cogneu Perrin Dendin on temps qu'il demouroitàla Fontaine-le-Conte, soubs le noble Abbé Ardillon. Gymnaste dist qu'il estoit en la tente du gros Christian, chevallier de Crissé, lors que le Guascon respondit à l'adventurier. Pa- nurge faisoit quelque difficulté de croire l'heur des jugemens par sort, mesmement par si long temps. Epistemon dist à Pantagruel : « Histoire parallèle nous compte l'on d'un prevost de Monslehery. Mais que diriez vous de cestuy heur des dez con- tinué en succès de tant d'années? Pour un ou deux jugemens ainsi donnez à l'adventure je ne me esbahirois, mesmement en matières de soy ambiguës, intrinquées, perplexes et obscures. » CHAPITRE XLIIII Comment Pantagruel racompte une estrange histoire des perplexitez du jugement humain. OMME feut, dist Pantagruel, la con- troverse débattue davant Cn. Dola- bella, proconsul en Asie. Le cas est ^tel: «Une femme, en Smyrne, de son premier mary eut un enfant nommé A-Bé-Cé. Le mary defunct, après certain temps elle se remaria , et de son 222 LIVRE III, CHAPITRE XLIV second mary eut un filz nommé Effe-Gé. Advint, comme vous sçavez que rare est l'affection des peratres, vitrices, noverces et meratres envers les enfans des defuncts premiers pères et mères, que cestuy mary et son filz occultement, en trahison, de guet à pens, tuèrent A-Bé-Cé. La femme, en- tendent la trahison et meschanceté, ne voulut le forfaict rester impuny, etlesfeist mourir tous deux, vengeante la mort de son filz premier. Elle feut par la justice appréhendée et menée davant Cn. Dolabella. En sa présence, elle confessa le cas sans rien dissimuler, seulement alleguoit que de droict et par raison elle les avoit occis. C'estoit Testât du procès. Il trouva l'affaire tant ambigu qu'il ne sçavoit en quelle partie incliner. Le crime de la femme estoit grand, laquelle avoit occis ses mary second et enfant; mais la cause du meurtre luy sembloit tant naturelle, et comme fondée en droict des peuples, veu qu'ilz avoient tué son fils premier, eulx ensemble, en trahison, de guet à pens, non par luy oultragez ne injuriez, seulement par avarice de occuper le total héritage, que pour la décision il envoya es Areopagites, en Athènes, entendre quel seroit sur ce leur advis et jugement. Les Areopagites feirent response que cent ans après personnellement on leurs envoiast les parties contendantes, affin de respondre à certains interro- gualoires qui n'estoient on procès verbal contenuz. C'estoit à dire que tant grande leurs sembloit la PANTAGRUEL 223 perplexité et obscurité de la matière qu'ilz ne sça- voient qu'en dire ne juger. Qui eust décidé le cas au sort des dez, il n'eusterré, advint ce quepouroit. Si contre la femme, elle raeritoit punition, veu qu'elle avoit faict la vengence de soy, laquelle apartenoit à Justice. Si pour la femme, elle sem- bloit avoir eu cause de douleur atroce. Mais en Brid'oye la continuation de tant d'années me estonne. — Je ne sçaurois, respondit Epistemon, à votre demande categoricquement respondre ; force est que le confesse. Conjecturallement je refererois cestuy heur de jugement en l'aspect bénévole des cieulx et faveur des Intelligences motrices, les quelles, en contemplation de la simplicité et affec- tion syncere du juge Brid*oye, qui, soy defïiant de son sçavoir et capacité, congnoissant les antinomies et contrarietez des loix, des edictz, des coustumes et ordonnances, entendent la fraulde du Calumniateur infernal, lequel souvent se transfigure en messagier de lumière, par ses ministres, les pervers advocatz, conseilliers, procureurs et aultres telz suppoz, tourne le noir en blanc, faict phantastiquement sembler à l'une et l'aultre partie qu'elle a bon droict, comme vous sçavez qu'il n'est si maulvaise cause qui ne trouve son advocat, sans cela jamais ne seroit procès on monde, se recommanderoit humblement à Dieu le juste juge, invoqueroit à son ayde la grâce céleste, se deporteroit en l'esprit sacro-sainctdu hazard et 224 LIVRE m, CHAPITRE XLIV perplexité de sentence définitive, et par ce sort exploreroit son décret et bon plaisir, que nous ap- pelions arrest; remueroient et tourneroient les dez pour tomber en chance de celluy qui, muny de juste complaincte, requeroit son bon droict estre par Justice maintenu, comme disent lesTalmudistes, en sort n'estre mal aulcun contenu, seulement par sort estre en anxiété et doubte des humains mani- festée la volunté divine. i( Je ne vouldrois penser ne dire, aussi certes ne croy je, tant anomale est l'iniquité et corruptele tant évidente de ceulx qui de droict respondent en icelluy parlement myrelinguois en Mirelingues , que pirement ne seroit un procès décidé par ject des dez, advint ce que pourroit, qu'il est passant par leurs mains pleines de sang et de perverse affection; attendu mesmement que tout leur di- rectoire en judicature usuale a esté baillé par un Tribunian, home mescreant, infidèle, barbare, tant maling,tantpervers,tantavareetinique, qu'il vendoit les loix, les edictz, les rescriptz, les constitutions et ordonnances en purs deniers, à la partie plus offrante ; et ainsi leurs a taillé leurs morseaulx par ces petitz boutz et eschantillons des loix qu'ilz ont en usaige, le reste supprimant et abolissant qui faisoitpour la loy totale, de paour que, la loy entière restante et les livres des antiques jurisconsultes veuz sus l'expo- sition des Douze Tables et edictz des prccteurs, feust du monde apertement sa meschanceté cogneue. PANTAGRUEL 225 « Pour tantser'oit ce souvent meilleur, c'est à dire moins de mal en adviendroit es parties controverses marcher sus chausses trapes que de son droict soy déporter en leurs responses et jugemens, comme soubhaitoit Caton de son temps, et conseilloit que la court judiciaire feust de chausses trappes pavée. » CHAPITRE XLV Comment Panurge se conseille à Triboullet. u sixième jour subséquent, Pantagruel feut de retour, en l'heure que par eaue de Bloys estoit arrivé Triboul- let. Panurge, à sa venue, luy donna une vessie de porc bien enflée, et resonnante à cause des poys qui dedans]estoient; plus une espée de boys bien dorée ; plus une petite gibbessiere faicte d'une cocque de tortue; plus une bouteille cUssée, pleine de vin breton, et un quarteron de pommes Blandureau. « Comment l dist Carpalim, est il fol comme un chou, à pommes? » Triboullet ceignit l'espée et la gibbessiere, print la vessie en main, mangea part des pommes, beut tout le vin. Panurge le reguardoit curieusement, et dist : « En- cores ne veids je oncques fol, et si en ay veu pour Rabelais. III. ^9 226 LIVRE III, CHAPITRE XLV plus de dix mille francs, qui ne beust voluntiers et à longs traictz. » Depuys luj exposa son affaire en parolles rhéto- riques et eleguantes. Davant qu'il eust achevé, Triboullet lui bailla un grand coup de poing entre les deux espaules, luy rendit en main la bouteille, le nazardoit avecques la vessie de porc, et pour toute responce luydist, branslant fort bien la teste : « Par Dieu, Dieu, fol enraigé, guare moine, corne- muse de Buzançay ! » Ces parolles achevées, s'esquarta de la compaignie, et jouoit de la vessie, se délectant au mélodieux son des poys. Depuys ne feut possible tirer de luy mot queconques. Et, le voulant Panurge d'adventaige interroger, Triboullet tira son espéedeboys et l'en voulut ferir. « Nous en sommes bien, vrayement ! dist Pa- nurge. Voylà belle resolution! Bien fol est il, cela ne se peult nier; mais plus fol est celluy qui me l'amena, et je tresfol, qui luy ay communicqué mes pensées. — C'est, respondit Carpalim, droict visé à ma visière. — Sans nous esmouvoir, dist Pantagruel^ consi- dérons ses gestes et ses dictz. En iceulx j'ay noté mystères insignes, et plus tant que je souloys ne m'esbahys de ce que les Turcs révèrent telz folz comme musaphiz et prophètes. Avez vous consi- déré comment sa teste s'est, avant qu'il ouvrist la PANTAGRUEL 227 bouche pour parler, crouslée et esbranslée ? Par la doctrine des antiques philosophes, par les cérémo- nies des mages et observations des jurisconsultes, povez juger que ce mouvement estoit suscité à la venue et inspiration de l'esprit fatidicque, lequel, brusquement entrant en débile et petite substance, comme vous sçavez que en petite teste ne peut estre grande cervelle contenue, l'a en telle manière esbranslée que disent les medicins tremblement advenir es membres du corps humain, sçavoir est, part pour la pesanteur et violente impétuosité du fays porté, part pour l'imbécillité de la vertus et organe portant. Exemple manifeste est en ceulx qui à jeun ne peuvent en main porter un grand hanap plein de vin sans trembler des mains. Cecy jadis nous praefiguroit la divinatrice Pythie, quand, avant respondre par l'oracle, escroulloit son laurier domesticque. Ainsi dict Lampridius que l'empereur Heliogabalus, pour estre réputé divinateur, par plusieurs festes de son grand Idole, entre les re- taillatz fanaticques, bransloit publicquement la teste. Ainsi déclare Plaute en son Asnerie que Saurias cheminoit branslant la teste, comme furieux et hors du sens, faisant paour à ceulx qui le ren- controient; et ailleurs, exposant pourquoy Charmi- des bransloit la teste, dict qu'il estoit en ecstase. Ainsi narre Catulle, en Berecynthia et Athys, du lieu on quel les Meenades, femmes bacchicques, prebstresses de Bacchus, forcenées, divinatrices, 228 LIVRE III, CHAPITRE XLV portantes rameaulx de lierre, bransloient les testes, comme en cas pareil faisoient les Gais escouillez, prebstres de Cybele, celebrans leurs offices, d'ont ainsi est dicte, scelon les antiques théologiens, car KitCiO'xi signifie rouer, tortre, bransler la teste et faire le torti colli. Ainsi escript T. Live que, es Bacchanales de Rome, les hommes et femmes sem- bloient vaticiner, à cause de certain branslement et jectigation du corps par eux contrefaicte, car la voix commune des philosophes et l'opinion du peuple estoient vaticination ne estre jamais des Cieulx donnée sans fureur et branslement du corps, tremblant et branslant non seulement lors qu'il la recevoit, mais lors aussi qu'il la manifestoit et de- clairoit. « De faict, Julian, jurisconsulte insigne, quel- ques foys interrogé si le serf seroit tenu pour sain lequel en compaignie de gens fanaticques et furieux auroit conversé, et par adventure vaticiné, sans toutesfoys tel branslement de teste, respondit estre pour sain tenu. Ainsi voyons nous de présent les précepteurs et peedagogues esbransler les testes de leurs disciples, comme on faict un pot par les anses, par vellication et érection des aureilles, qui est, scelon la doctrine des saiges égyptiens, membre consacré à Mémoire, affin de remettre leurs sens, lors par adventure esguarez en pensemens estran- ges, et comme effarouchez par affections abhor- rantes, en bonne et philosophicque discipline ; ce 1 PANTAGRUEL 229 que de soy confesse Virgile en Tesbranslement de Apollo Cynthius. » CHAPITRE XLVI Comment Pantagruel et Panurge diversement inter- prètent les parolles de Trihoullet. ^ L dict que vous estes fol. Et quel fol? ^;^;^^Fol enragé, qui sus vos vieulx jours ^^jt^ voulez en mariage vous lier et asser- ^^i^vir. Il vous dict : « Guare moine. » Sus mon honneur, que par quelque moine vous serez faict coqu, je enguaige mon honneur; chose plus grande ne sçauroys, fusse je dominateur unic- que et pacifîcque en Europe, Africque et Asie. Notez combien je défère à nostre morosophe Tri- houllet. Les aultres oracles et responses vous ont résolu pacificquement coqu, mais n'avoient encores apertement exprimé par qui seroit vostre femme adultère et vous coqu. Ce noble Trihoullet le dict. Et sera le coqûage infâme et grandement scanda- leux. Faudra il que vostre lict conjugal soit inceste et contaminé par moynerie? « Dictoultrequeserez la cornemuse de Buzançay, c'est à dire bien corné, cornard et cornu. Et ainsi comme il, voulant au roy Loys douzième demandei pour un sien frère le contrerolle du sel à Buzançay, demanda une cornemuse, vous pareillement, cuy- 23o LIVRE III, CHAPITRE XLVI dant quelque femme de bien et d'honneur espou- ser, espouserez une femme vuyde de prudence, pleine de vent, d'oultrecuydance, criarde et mal plaisante, comme une cornemuse. Notez oultre que de la vessie il vous nazardoit, et vous donna un coup de poing sus l'eschine. Cela praesagist que d'elle serez battu, nazardé et desrobbé, comme desrobbé aviez la vessie de porc aux petitz enfans de Vaubreton. — Au rebours, respondit Panurge. Non que je me vueille impudentement exempter du territoire de Follie ; j'en tiens et en suys , je le confesse. Tout le monde est fol. En Lorraine Fou est piez Tou par bonne discrétion. Tout est fol. Salomon dict que infinj est des folz le nombre; à infinité rien ne peut decheoir, rien ne peut estre adjoinct, comme prouve Aristoteles, et fol enraigé serois si, fol estant, fol ne me reputois. C'est ce que pa- reillement faict le nombre des maniacques et enrai- gez infiny. Avicenne dict que de manie infinies sont les espèces. Mais le reste de ses dictz et ges- tes faict pour moy. (( Il dict à ma femme : « Guare moyne. » C'est un moyneau qu'elle aura en délices, comme avoit la Lesbie de Catulle, lequel volera pour mousches, et y passera son temps autant joyeusement que feist oncques Domitian le croque-mousche. Plus, dict qu'elle sera villaticque et plaisante comme une belle cornemuse de Saulieu ou de Buzançay. Le veri- PANTAGRUEL 23l dicque TribouUet bien a congneu mon naturel et mes internes affections, car je vous affie que plus me plaisent les guayes bergerottes eschevelées, es quelles le cul sent le serpoulet, que les dames des grandes cours avecques les riches atours et odorans perfums de mauljoinct; plus me plaist le son de la rusticque cornemuse que les fredonnemens des lucz, rebecz et violons auliques. Il m'a donné un coup de poing sus ma bonne femme d'eschine ; pour l'amour de Dieu soit, et en déduction de tant moins des poines de Purgatoire. Il ne le faisoit par mal; il pensoit frapper quelque paige ; il est fol de bien, innocent, je vous affie, et pèche qui de luy mal pense. Je luy pardonne de bien bon cœur. Il me nazardoit; ce seront petites follastries entre ma femme et moy, comme advient à tous nouveaulx mariez. » CHAPITRE XLVII Comment Pantagruel et Panurge délibèrent visiter VOracle de la Dive Bouteille. OYCY bien un aultre poinct, lequel ne consyderez; est toutesfoys le neu de la matière. Il m'a rendu en main la bouteille. Cela que signifie? Qu'est ce à dire? — Par adventure, respondit Pantagruel, signifie que vostre femme sera ivroigne. — Au re- 232 LIVRE III, CHAPITRE XLVII bours, dist Panurge, car elle estoit vuide. Je vous jure l'espine de sainct Fiacre en Brye que nostre morosophe, l'unicque, non lunaticque, Triboullet, me remect à la bouteille, et je refraischiz de nou- veau mon veu premier, et jure Styx et Acheron, en vostre praesence, lunettes au bonnet porter, ne porter braguette à mes chausses, que sus mon en- treprinse je n'aye eu le mot de la Dive Bouteille. Je sçay homme prudent et amy mien qui sçait le lieu, le pays et la contrée en laquelle est son temple et oracle : il nous y conduira seurement. Allons y ensemble. Je vous supply ne me esconduire. Je vous seray un Achates, un Damis, et compaignon en tout le voyage. Je vous ay long-temps congneu amateur de peregrinité et desyrant tous jours veoir et tous jours apprendre. Nous voirons choses ad- mirables, et m'en croyez. — Voluntiers, respondit Pantagruel ; mais, avant nous mettre en ceste longue pérégrination, plene de hazard, plene de dangiers evidens... — Quelz dangiers ? dist Panurge, interrompant le propous. Les dangiers se refuyent de moy, quelque part que je soys, sept lieues à la ronde, comme, advenent le prince, cesse le magistrat, advenent le soleil esva- nouissent les ténèbres, et comme les maladies fuyoient à la venue du corps sainct Martin à Quandé. — A propous, dist Pantagruel, avant nous mettre en voye, de certains poincts nous fault expédier. PANTAGRUEL 233 « Premièrement, renvoyons Triboullet à Bloys, ;> ce que feut faict à l'heure, et luy donna Panta- gruel une robbe de drapfrizé; « secondement, nous fault avoir l'advis et congié du Roy mon père ; plus, nous est besoing trouver quelque sibylle pour guyde et truchement. » Panurge respondit que son amy Xenomanes leur suffiroit, et d'abondant deliberoit passer par le pays de Lanternoys, et là prendre quelque docte et utile Lanterne, laquelle leurs seroit pour ce voyage ce que feut la Sibylle à ^î^neas descendent es Champs Elisiens. Carpalim, passant pour la con- duicte de Triboullet, entendit ce propous et s'es- cria, disant : « Panurge, ho ! monsieur le quitte, pren Millort Debitis à Calais, car il est goud fallot, et n'oublie Dehitoribus, ce sont lanternes; ainsi auras et fallot et lanternes. — Mon prognostic est, dist Pantagruel, que par le chemin nous ne engendrerons melancholie. Ja clairement je l'apperçois; seulement me desplaist que ne parle bon Lanternoys. — Je, respondit Pa- nurge, le parleray pour vous tous, je l'entends comme le maternel; il m'est usité comme le vul- gaire : Briszmarg d'algotbric nubstzne zos, Isquebfz prusq alborcz crinqs zacbac. Misbe dilbarlkz morp nipp stancz bas, Strombtz, Panrgc walmap quost grufz bac. « Or, devine, Epistemon, que c'est? 3o 284 LIVRE III, CHAPITRE XLVII — Ce sont, respondit Epistemon, noms de dia- bles errans, diables passans, diables rampans. — Tes parolles sont brayes, dist Panurge, bel amy; c'est le courtisan languaige Lanternoys. Par le che- min je t'en feray un beau petit dictionaire, lequel ne durera gueres plus qu'une paire de souliers neufz; tu l'auras plus toust aprins que jour levant sentir. Ce que j'ay dict, translaté de Lanternoys en vulgaire, chante ainsi : Tout malheur, estant amoureux, M'accompaignoit, oncq n'y eu bien. Gens mariez plus sont heureux, Panurge l'est, et le sçait bien. — ■ Reste doncques, dist Pantagruel, le vouloir du Roy mon père entendre, et licence de luy avoir. » CHAPITRE XLVIII Comment Gargantua remonstre n'estre licite es fans soy marier sans le sceu et adveu de leurs pères en- ci mères NTRANT Pantagruel en la salle grande du chasteau, trouva le bon Gargantua issant du Conseil, luy feist narré som- maire de leurs adventures, exposa leur entreprinse, et le supplia que par son vouloir et congié la peussent mettre en exécution. Le bon PANTAGRUEL 235 home Gargantua tenoit en ses mains deux gros paquetz de requestes respondues et mémoires de respondre; les bailla à Ulrich Gallet, son antique maistre des libelles et requestes, tira à part Pan- tagruel, et, en face plus joyeuse que de coustume, luy dist : « Je loue Dieu, filz trescher, qui vous conserve en désirs vertueux, et me plaist tresbien que par vous soit le voyaige perfaict; mais je vouldroysque pareillement vous vint en vouloir et désir vous marier. Me semble que dorénavant venez en aage à ce compétent. Panurge s'est assez ejfforce rompre les difficultez qui luy pouvoientestre en empesche- ment; parlez pour vous. — Père tresdebonnaire, respondit Pantagruel, encores n'y avoys je pensé; de tout ce négoce je m'en deportoys sus vostre bonne volunté et paternel commendement. Plus tost prie Dieu estre à vos piedz veu roydde mort en votre desplaisir que sans vostre plaisir estre veu vif marié. Je n'ay jamais entendu que par loy aulcune, feust sacre, feust prophane et barbare, ayt esté en arbitre des enfans soy marier, non consentants, voulens et promovens leurs pères, mères et parens prochains. Tous législateurs ont es enfans ceste liberté tollue, es parens l'ont réservée, — Filz treschier, dist Gargantua, je vous en croy, et loue Dieu de ce que à votre notice ne viennent que choses bonnes et louables, et que, par les fe- nestres de vos sens, rien n'est on domicile de 236 LIVRE III, CHAPITRE XLVIII vostre esprit entré, fors libéral sçavoir. Car de mon temps a esté par le continent trouvé pays on quel ne sçay quelz pastophores taulpetiers, aultant abhorrens de nopces comme les pontifes de Cybele, en Phrjgie, si chappons feussent et non galls pleins de salacité et lascivie, les quelz ont dict loix es gens mariez sus le faict de mariage; et ne sçay que plus doibve abhominer, ou la tirannicque prae- sumption d'iceulx redoubtez taulpetiers , qui ne se contiennent dedans les treillis de leurs mystérieux temples, et se entremettent des négoces contraires par diamètre entier à leurs estats, ou la supersti- tieuse stupidité des gens mariez, qui ont sanxi et preste obéissance à telles tant malignes et barba- ricques loigs ; et ne voyent, ce que plus clair est que l'estaille matute, comment telles sanxions con- nubiales toutes sont à l'adventaige de leurs mystes, nul au bien et proufict des mariez, qui est cause suffisante pour les rendre suspectes comme iniques et fraudulentes. <( Par reciprocque témérité pourroient ilz loigs establir à leurs mystes sus le faict de leurs cérémo- nies et sacrifices, attendu que leurs biens ilz déci- ment et roignent du guaing prouvenent de leurs labeurs et sueur de leurs mains, pour en abondance les nourrir et entretenir ; et ne seroient, scelon mon jugement, tant perverses et impertinentes comme celles sont les quelles d'eulx ilz ont receup. Car, comme tresbien avez dict, loy on monde PANTAGRUEL 287 n'estoit qui es enfans liberté de soy marier donnast sans le sceu, l'adveu et consentement de leurs pères. Moyenantes les loigs dont je vous parle, n'est ruf- fien, forfant, scélérat, pendart, puant, punais, ladre, briguant, voleur, meschant, en leurs contrées, qui violentement ne ravisse quelque fille il vouldra choisir, tant soit noble, belle, riche, honneste, pu- dicque que sçauriez dire, de la maison de son père, d'entre les bras de sa mère, maulgré tous ses pa- rens, si le ruffien se y ha une foys associé quelque myste, qui quelque jour participera de la praye. Feroient pis et acte plus cruel les Gothz, les Scythes, les Massagetes, en place ennemie par longtemps assiégée, à grands frays oppugnée, prinse par force ? « Et voyent les dolens pères et mères hors leurs maisons enlever et tirer par un incongneu, estrangier, barbare, mastin, tout pourry, chancreux, cadavéreux, paouvre, malheureux, leurs tant belles, délicates, riches et saines filles, les quelles tant chèrement avoient nourriez en tout exercice vertueux, avoient disciplinées en toute honesteté, esperans en temps opportun les colloquer par mariage avecques les enfans de leurs voisins et antiques amis, nourriz et instituez de mesme soing, pour parvenir à ceste félicité de mariage que d'eulx ilz veissent naistre lignaige raportant et haereditant non moins aux mœurs de leurs pères et mères que à leurs biens meubles et hœritaiges. Quel spectacle pensez vous que ce leurs soit? •^38 LIVRE III, CHAPITRE XLVIII « Ne croyez que plus énorme feust la désolation du peuple romain et ses confasderez entendens le decés de Germanicus Drusus; ne croyez que plus pitoyable feust le desconfort des Lacedemoniens, quand de leurs pays veirent par l'adultère troian furtivement enlevée Hélène Grecque ; ne croyez leur deuil et lamentations estre moindres que de Gères, quand luy feust ravie Proserpine sa fille; que de Isis à la perte de Osyris, de Venus à la mort de Adonis, de Hercules à l'esguarement de Hylas, de Hecuba à la substraction de Polyxene. (( Hz toutesfois tant sont de craincte du Daemon et superstitiosité espris que contredire ilz n'ausent, puisque le taulpetiery a esté prœsent et contractant ; et restent en leurs maisons privez de leurs filles tant aimées, le peremauldissantle jour et l'heure de ses nopces, la mère regrettant que n'estoit avortée en tel tant triste et malheureux enfantement, et en pleurs et lamentations finent leur vie, laquelle estoit de raison finir en joye et bon tractement de icelles. Aultres tant ont esté ecstaticques et comme maniacques que eulx mesmes de deuil et regret se sont noyez, penduz, tuez, impatiens de telle indignité. « Aultres ont eu l'esprit plus heroicque, et, à l'exemple des enfans de Jacob vengeant le rapt de Dina, leur sœur, ont trouvé le ruffien associé de son taulpetier, clandestinement parlementans et subornans leurs filles, les ont sus l'instant mis en PANTAGRUEL 289 pièces et occis felonnement , leurs corps après jectans es loups et corbeaux parmy les champs; au quel acte tant viril et chevaleureuz ont les Sym- mjstes taulpetiers fremy et lamenté misérablement, ont formé complainctes horribles, et en toute im- portunité requis et imploré le bras séculier et justice poHticque, instans fièrement et contendens estre de tel cas faicte exemplaire punition. Mais ne en asquité naturelle, ne en droict des gens, ne en loy impériale quelconques, n'a esté trouvée rubricque, paragraphe, poinct ne tiltre par lequel feust poine ou torture à tel faict interminée, raison obsistante, nature répugnante : car homme vertueux on monde n'est qui naturellement et par raison plus ne soit en son sens perturbé, oyant les nouvelles du rapt, diffame et deshonneur de sa fille, que de sa mort. Ores est qu'un chascun, trouvant le meurtrier sus le faict de homicide en la persone de sa fille ini- quement et de guet à pens, le peut par raison, le doibt par nature, occire sus l'instant, et n'en sera par justice appréhendé. Merveilles doncques n'est si, trouvant le ruffien, à la promotion du taulpetier, sa fille subornant, et hors sa maison ravissant, quoy qu'elle en feust consentente, les peut, les doibt à mort ignominieusement mettre, et leurs corps jecter en direption des bestes brutes, comme indignes de recepvoir le doulx, le desyré, le dernier embrasse- ment de l'aime et grande mère la Terre, lequel nous appelions Sépulture. 240 LIVRE III, CHAPITRE XLVIII « Fils trescher, après mon decés, guardez que telles loigs ne soient en cestuy royaume receues ; tant que seray en ce corps spirant et vivent, je y donneray ordre tresbon, avec l'ayde de mon Dieu. Puis doncques que de vostre mariage sus moy vous déportez, j'en suis d'opinion, je y pour- voiray. « Aprestez vous au voyage de Panurge. Prenez avecques vous Epistemon, frère Jan et aultres que choisirez. De mes thesaurs faictez à vostre plein arbitre. Tout ce que ferez ne pourra ne me plaire. En mon arsenac de Thalasse prenez équipage tel que vouldrez, telz pillotz , nauchiers, trusche- mens que vouldrez, et à vent oportun faictez voile on nom et protection du Dieu servateur. Pendent vostre absence, je feray les apprestz et d'une femme vostre, et d'un festin que je veulx à vos nopces faire célèbre, si oncques en feut. » CHAPITRE XLIX Comment Pantagruel feist ses aprestz pour monter si^s mer, et de l'herbe nommée Pantagruelion. EU de jours après Pantagruel avoir prins congié du bon Gargantua, luy bien priant pour le voyage desonfilz, vâ^-^ -;^ - Js arriva au port de Thalasse, prés Sa- malo, acompaigné de Panurge, Epistemon, frère PANTAGRUEL 241 Jan des Entommeures, abbé de Theleme, et aultres de la noble maison, notamment de Xenomanes, le grand voyagier et traverseur des voyes péril- leuses, lequel estoit venu au mandement de Panurge, par ce qu'il tenoit je ne sçay quoy en arrière fief de la chastellenie de Salmiguondin. Là arrivez, Pantagruel dressa equippage de navires à nombre de celles que Ajax de Salamine avoit jadis menées en convoy des Gregoys à Troie : nauchiers, pilotz, hespaliers, truschemens, artisans, gens de guerre_, vivres, artillerie, munitions, robbes, deniers et aultres hardes print et chargea, comme estoit be- soing pour long et hazardeux voyage ; entre aultres choses, je veids qu'il feist charger grande foison de son herbe Pantagruelion, tant verde et crude que conficte et praeparée. L'herbe Pantagruelion ha racine petite, durette, rondelette, fînante en poincte obtuse, blanche, à peu de fîllamens, et ne profundeen terre plus d'une coubtée. De la racine procède un tige unicque, rond, ferulacé , verd au dehors , blanchissant au dedans, concave comme le tige de smyrnium, olus atrum, febves et gentiane; ligneux, droict, friable, crénelé quelque peu à forme de columnes legie- rement striées; plein de fibres, es quelles consiste toute la dignité de l'herbe, mesmement en la partie dicte Mesa, comme moyenne, et celle qui est dicte Mylasea. Haulteur d'icelluy communément est de cinq à six pieds. Aulcunes foys excède la haulteur Rabelais. III. 5ï 242 LIVRE III, CHAPITRE XLIX d'une lance, sçavoir est quand il rencontre terrouoir doulx, uligineux, legier, humide sans froydure, comme est Olone et ceWuy de Rosea, prés Prae- neste, en Sabinie, et que pluje ne luy deffault en- viron les feries des pécheurs et solstice œstival; et surpasse la haulteur des arbres , comme vous dictez Dendromalache par l'authorité de Theophraste, quoy que herbe soit par chascun an dépérissante, non arbre en racine, tronc, caudice et rameaux perdu- rante; et du tige sortent gros et fors rameaux. Les feueilles a longues trois foys plus que larges, verdes tous jours, asprettes, comme l'orcanette, durettes, incisées au tour comme une faulcille et comme la betoine, finisantes en poinctes de larisse macedonicque, et comme une lancette dont usent les chirurgiens. La figure d'icelle peu est différente des feueilles de fresne et aigremoine, et tant sem- blable à eupatoire que plusieurs herbiers, l'ayant dicte domesticque, ont dict eupatoire estre Panta- gruelion saulvaginé; et sont par rancs en eguale distance esparses au tour du tige en rotondité, par nombre en chascun ordre ou de cinq ou de sept. Tant l'a chérie Nature qu'elle l'a douée en ses feueilles de ces deux nombres impars, tant divins et mystérieux. L'odeur d'icelles est fort et peu plaisant aux nez deliçatz. La semence provient vers le chef du tige et peu au dessoubs. Elle est numereuse autant que d'herbe qui soit, sphaericque, oblonguc, rhomboïde, noire PANTAGRUEL 24? claire et comme tannée, durette, couverte de robbe fragile, délicieuse à tous oyseaulx canores, comme linottes, chardriers, alouettes, serins, tarins et aul- tres; mais estainct en l'home la semence genera- tive, qui en mangeroit beaucoup et souvent; et, quoy que jadis entre les Grecs d'icelle l'on feist cer- taines espèces de fricassées, tartres et beuignetz, les quelz ilz mangeoient après soupper, par friandise et. pour trouver le vin meilleur, si est ce qu'elle est de difficile concoction, offense Pestomach, engen- dre mauvais sang, et, par son excessive chaleur, ferist le cerveau et remplist la teste de fascheuses et douloreuses vapeurs. Et, comme en plusieurs plantes sont deux sexes, masle et femelle, ce que voyons es lauriers, palmes, chesnes, heouses, asphodèle, mandragore, fougère, agaric, aristolochie , cyprès, terebinthe , pouliot, paeone et aultres, aussi en ceste herbe y a masle, qui ne porte fleur aulcune , mais abonde en se- mence , et femelle c|ui foisonne en petites fleurs blanchâtres, inutiles, et ne porte semence qui vaille, et, comme est des aultres semblables, ha la feuille plus large, moins dure que le masle, et ne croist en pareille haulteur. On semé cestuy Pantagruelion à la nouvelle venue des hyrondelles; on le tire de terre lors que les cigalles commencent s'enrouer. 244 LIVRE III, CHAPITRE L CHAPITRE L Comment doibt estre préparé et mis en auvre le célèbre Pantagruelion. ' ' N pare le Pantagruelion soubs l'sequi- nocte automnal en diverses manières, scelon la phantasie des peuples et di- /c) versité des pays. L'enseignement premier de Pantagruel feut le tige d'icelle desvestir de feueilles et semence, le macérer en eaue stagnante, non courante, par cinq jours si le temps est sec et l'eaue chaulde, par neuf ou douze si le temps est nubileux et l'eaue froyde ; puys au soleil le seicher, puys à l'umbre le excorticquer et séparer les fibres, es quelles, comme avons dict, consiste tout son pris et valeur, de la partie ligneuse, laquelle est inutile, fors qu'à faire flambe lumineuse, allumer le feu, et, pour l'esbat des petitz enfans, enfler les vessies de porc. D'elle usent aulcunes fojs les frians, à cachetés, comme de syphons, pour sugser et avecques l'haleine atti- rer le vin nouveau par le bondon. Quelques Panta- gruelistes modernes, evitans le labeur des mains qui seroit à faire tel départ, usent de certains in- struments catharactes composez à la forme que Juno la fascheuse tenoit les doigtz de ses mains liez pour empcscher l'enfantement de Alcmene, mère de Hercules. Et à travers icelluy contundent PANTAGRUEL 24S et brisent la partie ligneuse, et la rendent inutile, pour en saulver les fibres. En ceste seule prgeparation acquiescent ceulx qui, contre l'opinion de tout le monde et en ma- nière paradoxe à tous philosophes, guaingnent leur vie à reculions. Ceulx qui à profict plus évident la veulent avalluer font ce que l'on nous compte du passetemps des trojs sœurs Parces, de l'esbatement nocturne de la noble Circé, et de la longue excuse de Pénélope envers ses muguetz amoureux, pen- dant l'absence de son mary Uljxes. Ainsi est elle mise en ses inestimables vertus, des quelles vous expouseray partie, car le tout est à moy vous ex- pouser impossible , si davant vous interprète la dénomination d'icelle. Je trouve que les plantes sont nommées en di- verses manières. Les unes ont prins le nom de cel- luy qui premier les inventa, congneut, monstra, cultiva, aprivoisa et appropria, comme mercuriale, de Mercure; panacea, de Panace, fille de ^Escula- pius; armoise, de Artemis, qui est Diane; eupatoire, du roy Eupator; telephium, de Telephus; euphor- bium, de Euphorbus, medicin du roy Juba; clyme- nos, de Clymenus; alcibiadion , de Alcibiades; gentiane, de Gentius, roy de Sclavonie ; et tant a esté jadis estimée ceste prserogative de imposer son nom aux herbes inventées que, comme feut controverse meue entre Neptune et Pallas de qui prendroit nom la terre par eulx deux ensemble- 246 LIVRE III, CHAPITRE L ment trouvée, qui depuys feut Athènes dicte, de Athené, c'est à dire Minerve, pareillement Lyncus, roy de Scythie, se mist en effort de occire en tra- hison le jeune Triptoleme, envoyé par Cerés pour es homes monstrer le froment, lors encore incon- gneu, affin que par la mort d'icelluy il imposast son nom, et feust en honneur et gloire immortelle dict inventeur de ce grain tant utile et nécessaire à la vie humaine, pour laquelle trahison feut par Cerés transformé en oince ou loup-cervier ; pa- reillement, grandes et longues guerres feurent jadis meues entre certains roys de séjour en Cappadoce pour ce seul différent, du nom des quelz seroit une herbe nommée, laquelle pour tel débat feut dicte Pokmonia, comme guerroyere. Les aultres ont retenu le nom des régions des quelles feurent ailleurs transportées, comme pom- mes medices, ce sont poncires de Medie, en la- quelle feurent premièrement trouvées ; pommes punicques, ce sont grenades, apportées de Punicie, c'est Carthage ; ligusticum, c'est livesche, apportée de Ligurie, c'est la couste de Gènes; rhabarbe, du fleuve barbare nommé Rha, comme atteste Am- mianus ; santonicque, fœnu grec, castanes persic- ques, Sabine, stœchas, de mes isles Hieres, antic- quement dictez Stœchades; spica celtica et aultres. Les aultres ont leur nom par antiphrase et con- trariété, comme absynthe, au contraire de pynthe, car il est fascheux à boire; holosteon, c'est tout de PANTAGRUEL 247 OS, au contraire, car herbe n'est en nature plus fragile et plus tendre qu'il est. Aultres sont nommées par leurs vertus et opéra- tions, comme aristolochia, qui ajde les femmes en mal d'enfant; lichen, qui guérit les maladies de son nom; maulve, qui mollifie; callithrichum, qui faict les cheveulx beaulx; alyssum, ephemerum, be- chium, nasturtium, qui est cresson alenoys ; hyos- cyame, hanebanes et aultres. Les aultres par les admirables qualitez qu'on a veu en elles, comme héliotrope, c'est soulcil, qui suyt le soleil, car, le soleil levant, il s'espanouist ; montant, il monte; déclinant, il décline; soy ca- chant, il se cloust; adiantum, car jamais ne retient humidité, quoy qu'il naisse prés les eaues, et quoy qu'on le plongeast en eaue par bien long temps; hieracia, eryngion et aultres. Aultres par métamorphose d'homes et femmes de nom semblable; comme daphne, c'est laurier, de Daphné ; myrte, de Myrsine ; pytis, de Pytis ; cynara, c'est artichault; narcisse, saphran, smilax et aultres. Aultres par similitude, comme hippuris, c'est prelle, car elle ressemble à queue de cheval; alope- curos, qui semble à la queue de renard; psyUon, qui semble à la pusse; delphinium, au daulphin ; buglosse, à langue de beuf ; iris, à l'arc en ciel, en ses fleurs; myosota, à l'aureil de souriz; corono- pous, au pied de corneille, et aultres. 24i LIVRE III, CHAPITRE I. Par reciprocque dénomination sont dictz les Fabies, des febves ; les Pisons, des pojs ; les Len- tules, des lentiles; les Cicerons, des poys-chices. Comme encores par plus haulte resemblance est dict le nombril de Venus, les cheveulx de Venus, la cuve de Venus, la barbe de Juppiter, l'œil de Juppiter, le sang de Mars, les doigtz de Mercure, hermodactyles, et aultres. Les aultres de leurs formes, comme trefeueil, qui ha trois feueilles; pentaphyllon , qui a cinq feueilles; serpoullet, qui herpe contre terre; hel- xine, petasites, myrobalans, que les Arabes ap- pellent Been, car ilz semblent à gland et sont unctueux. CHAPITRE LI Pourquoy est dicte Pantagruelion, et des admirables vertus d'icdle. AR ces manières, exceptez la fabu- leuse, car de fable ja Dieu ne plaise ique usions en ceste tant véritable his- ,toire, est dicte l'herbe Pantagruelion, car Pantagruel feut d'icelle inventeur : je ne diz pas quant à la plante, mais quant à un certain usaige, lequel plus est abhorré et hay des larrons, plus leurs est contraire et ennemy que n'est la teigne et cuscute au lin, que le rouseau à la fou- PANTAGRUEL 249 gère, que la presle aux fauscheurs, que orobanche aux poys chices, aegylops à l'orge, securidaca aux lentilles, antranium aux febves, l'yvraye au froment, le lierre aux murailles; que le nenufar et nym.phea heraclia aux ribaux moines; que n'est le férule et le boulas aux escholiers de Navarre; que n'est le chou à la vigne, le ail à l'aimant, l'oignon à la veue, la graine de fougère aux femmes enceinctes, la semence de saule aux nonnains vitieuses, l'umbre de if aux dormans dessoubs, le aconite aux pards et loups, le flair du figuier aux taureaux indignez, la cigûe aux oisons, le poupié aux dents, l'huille aux arbres. Car maintz d'iceux avons veu par tel usaige fîner leur vie haut et court, à l'exemple de Phjllis, royne des Thraces; de Bonosus, empereur de Rome ; de Amate, femme du roy latin ; de Iphis, Auctolia, Lycambe, Arachne, Pheda, Leda, Acheus, roy de Lydie, et aultres; de ce seulement indignez que, sans estre aultrement malades, par le Panta- grueUon on leurs oppiloit les conduictz par les quelz sortent les bons motz et entrent les bons morseaulx, plus villainement que ne feroit la maie angine et mortelle squinanche. Aultres avons ouy, sus l'instant que Atropos leurs couppoit le filletde vie, soy griefvement com- plaignans et lamentans de ce que Pantagruel les tenoit à la guorge. Mais, las ! cen'estoit mie Pan- tagruel; il ne feut oncques rouart : c'estoit Panta- gruelion faisant office de hart et leurs servant de 32 25o LIVRE IIÎ, CHAPITRE LI cornette. Et parloient improprement et en solœ- cisme. Si non qu'on les excusast par figure synecdo- chique, prenens l'invention pour l'inventeur, comme on prend Cerés pour pain, Bacchus pour vin. Je vous jure icy par les bons motz qui sont dedans ceste bouteille là, qui refraischit dedans ce bac, que le noble Pantagruel ne print oncques à la guorge,sinon ceulx qui sont negligens de obvier à la soif imminente. Aultrement est dicte Pantagruelion par simili- tude : car Pantagruel, naissant on monde, estoit autant grand que l'herbe dont je vous parle, et en feut prinse la mesure aisément, veu qu'il nasquit on temps de altération, lors qu'on cuilleladicte herbe, et que le chien de Icarus, par les aboys qu'il faict au soleil, rend tout le monde Troglodyte, et con- trainct habiter es caves et lieux subterrains. Aultrement est dicte Pantagruelion par ses vertus et singularitez, car, comme Pantagruel a esté l'idée et exemplaire de toute joyeuse perfection, je croy que personne de vous aultres beuveurs n'endoubte, aussi en Pantagruelion je recongnoys tant de vertus, tant d'énergie, tant de perfection, tant d'effectz admirables, que, si elle eust esté en ses qualitez congneue lors que les arbres, par la relation du Prophète, feirent élection d'un roy de boys pour les régir et dominer, elle sans doubte eust emporté la pluralité des voix et suffrages. Diray je plus? Si Oxylus, filz de Orius, l'eust de sa sœur Hamadryas PANTAGRUEL 25l engendrée, plus en la seule valeur d'icelle se feust délecté qu'en tous ses huyct enfans tant célébrez par nos mythologes, qui ont leurs noms mis en mé- moire éternelle. La fille aisnée eut nom Vigne, le filz puysné eut nom Figuier, l'aultre Noyer, l'aultre Chesne, l'aultre Cormier, l'aultre Fenabregue , l'aultre Peuplier; le dernier eut nom Ulmeau, et feut grand chirurgien en son temps. Je laisse à vous dire comment le jus d'icelle, exprimé et instillé dedans les aureilles^ tue toute espèce de vermine qui y seroit néepar putréfaction, et tout aultre animal qui dedans seroit entré. Si d'icelluy jus vous mettez dedans un seilleau de eaue, soubdain vous verrez Teaue prinse, comme si feussent caillebotes, tant est grande sa vertus. Et est l'eaue ainsi caillée remède praesent aux che- vaulx coliqueux et qui tirent des flans. La racine d'icelle, cuicte en eaue, remollist les nerfz retirez, les joinctures contractes, les podagres sclirrho- tiques et les gouttes nouées. Si promptement voulez guérir une bruslure, soit d'eaue, soit de feu, appliquez y du Pantagruelion crud, c'est à dire tel qui naist de terre, sans aultre appareil ne compo- sition, et ayez esguard de le changer ainsi que le voirez deseichant sus le mal. Sans elle seroient les cuisines infâmes, les tables détestables, quoy que couvertes feussent de toutes viandes exquises; les lictz sans délices, quoy que y feust en abondance or, argent, electre, ivoyre et 252 LIVRE III, CHAPITRE LI porphyre. Sans elle neporteroient les meusniers bled au moulin, n'en rapporteroient farine. Sans elle com- ment seroient portez les playdoyers des advocatz à l'auditoire? Comment seroit sans elle porté le piastre à l'hastelier? Sans elle comment seroit tirée l'eaue du puyz ? Sans elle que feroient les tabel- lions, les copistes, les secrétaires et escrivains? Ne periroient les pantarques et papiers rantiers? Ne periroit le noble art d'imprimerie? De quoy feroit on châssis ? Comment sonneroit on les cloches? D'elle sont les Isiacques ornez, les Pastophores revestuz, toute humaine nature couverte en pre- mière position. Tous les arbres lanificques desSeres, les gossampines de Tyle en la mer Persicque, les cynes des Arabes, les vignes de Malthe, ne ves- tissent tant de personnes que faict ceste herbe seu- lette; couvre les armées contre le froid et la pluye plus certes commodément que jadis ne faisoient les peaulx; couvre les théâtres et amphithéâtres contre la chaleur, ceinct les boys et taillis au plaisir des chasseurs, descend en eaue, tant douce que marine, au profîct des pescheurs. Par elle sont bottes, bo- tines, botasses, houzeaulx, brodequins, souliers, escarpins, pantofles, savattes mises en forme et usaige. Par'elle sont les arcs tendus, les arbalestes bandées, les fondes faictes. Et, comme si feust herbe sacre, verbenicque et révérée des mânes et lémures, les corps humains morts sans elle ne sont inhumez. PANTAGRUEL 253 Je diray plus. Icelle herbe moyenante, les sub- stances invisibles visiblement sont arrestées, prinses, détenues et comme en prison mises. A leur prinse et arrest sont les grosses et pesantes moles tournées agillement à insigne profîct de la vie humaine. Et m'esbahys comment l'invention de telusaige a esté par tant de siècles celé aux antiques philosophes, veue l'utilité impreciable qui en provient, veu le labeur intolérable que sans elle ilz supportoient en leurs pistrines. Icelle moyenant, par la rétention desflotz aërez, sont les grosses orchades, les amples thalameges, les forts guaillons, les naufz chiliandres et my- riandres de leurs stations enlevées et poulsées à l'arbitre de leurs gouverneurs. Icelle moyennant, sont les nations que Nature sembloit tenir absconses, imperméables et incongneues, à nous venues, nous à elles, chose que ne feroient les oyseaulx, quelque legiereté de pennaige qu'ilz aient, et quelque liberté de nager en l'aer que leurs soit baillée par Nature. Taprobrana a veu Lappia; Java a veu les mons Riphées; Phebol voyra Theleme; les Islan- doys et Engronelands boyront Euphrates. Par elle Boreas a veu le manoir de Auster; Eurus a visité Zephire. De mode que les Intelligences célestes, les dieux tant marins que terrestres, en ont esté tous effrayez, voyans par l'usaigedecestuy benedict Pantagruelion les peuples Arcticques en plein aspect des Antarcticques franchir la mer Athlanticque, 254 LIVRE III, CHAPITRE LI passer les deux Tropicques, voItersoubslaZonetor- ride, mesurer tout le Zodiacque, s^esbattre soubs l'iEquinoctial, avoir l'un et l'autre Pôle en veue à fleur de leur orizon. Les dieux oljmpicques ont en pareil effroy dict : « Pantagruel nous a mis en pensement nouveau et tedieux plus que oncques ne feirent les Aloïdes, par Tusaige et vertus de son herbe. Il sera de brief marié, de sa femme aura enfans. A ceste destinée ne povons nous contrevenir, car elle est passée par les mains et fuseaulx des sœurs fatales, filles de Nécessité. Par ses enfans, peut estre, sera inventée herbe de semblable énergie, moyenant laquelle pourront les humains visiter les sources des gresles, les bondes des pluyes et l'ofïîcine des fouldres; pourront envahir les régions de la lune, entrer le territoire des signes célestes, et là prendre logis, les uns à l'Aigle d'or, les aultres au Mouton, les aultres à la Couronne, les aultres à la Herpe, les aultres au Lion d'argent; s'asseoir à table avecques nous, et nos déesses prendre à femmes, qui sont les seulx moyens d'estre déifiez. » En fin, ont mis le remède d'y obvier en délibération et conseil. PANTAGRUEL 255 CHAPITRE LU Comment certaine espèce de Pantagruelion ne peut estre par feu consommée. E que je vous ay dict est grand et ad- mirable; mais, si vous vouliez vous bazarder de croire quelque aultre di- vinité de ce sacre PantagrueHon, je la vous dirois. Croyez la ou non, ce m'est tout un; me suffist vous avoir dict vérité. Vérité vous diray. Mais, pour y entrer, car elle est d'accès assez scabreux et difficile, je vous demande : si j'avois en ceste bouteille mis deux cotyles de vin et une d'eaue, ensemble bien fort meslez, comment les demesleriez vous? comment les sépareriez vous de manière que vous me rendriez l'eau à part sans le vin, le vin sans l'eau, en mesure pareille que les y auroys mis ? Aultrement, si vos chartiers et nau- tonniers amenans pour la provision de vos maisons certain nombre de tonneaulx, pippes et bussars de vin de Grave, d'Orléans, de Beaulne, de Myre- vaulx, les avoient buffetez et beuz à demy, le reste emplissans d'eau, comme font les Limosins à belz esclotz, charroyans les vins d'Argenton et San- gaultier, comment en housteriez vous l'eau entiè- rement? comment les purifieriez vous? J'entends bien : vous me parlez d'un entonnoir de lierre. Cela est escript, il est vray, et avéré par 256 LIVRE III, CHAPITRE LU mille expériences, vous le sçaviez desja; maisceulx qui ne l'ont sceu et ne le veirent oncques ne le croy- roient possible. Passons oultre. Si nous estions du temps deSylla, Marius, Caesar et aultres romains empereurs, ou du temps de nos antiques Druydes, qui faisoient brusler les corps mors de leurs parens et seigneurs, et voulussiez les cendres de vos femmes ou pères boyre en infusion de quelque bon vin blanc, comme feist Artemisia les cendres de Mausolus, son mary, ou aultrement les reserver entières en quelque urne et reliquaire, comment saulveriez vous icelles cendres à part, et séparées des cendres du bust et feu funeral? Res- pondez. Par ma figue, vous seriez bien empeschez. Je vous en despesche, et vous diz que, prenent de ce céleste Pantagruelion autant qu'en fauldroit pour couvrir le corps du defunct, et ledict corps ayant bien à poinct enclouz dedans, lié et cousu de mesmes matière, jectez le on feu tant grand, tant ardent que vouldrez|: le feu à travers le Panta- gruelion bruslera et rédigera en cendres le corps et les oz; le Pantagruelion non seulement ne sera consumé ne ards, et ne deperdera un seul atome des cendres dedans encloses, ne recepvra un seul atome des cendres bustuaires, mais sera en fin du feu extraict plus beau, plus blanc et plus net que ne l'y aviez jecté. Pourtant est il appelle Asbcston. Vous en trouverez foison en Carpasie et soubs le climat ota Cycncs, à bon marché PANTAGRUEL 257 O chose grande ! chose admirable ! Le feu, qui tout dévore, tout deguaste et consume, nettoyé, purge et blanchist ce seul Pantagruelion carpasien asbestin. Si de ce vous défiez et en demandez assertion et signe usual, comme Juifz et incrédules, prenez un œuf frais et le liez circulairement avecques ce divin Pantagruelion. Ainsi lié, mettez le dedans le brasier tant grand et ardent que vouldrez; laissez le si long temps que vouldrez. En fin, vous tirerez l'œuf cuyt, dur et bruslé, sans altération, immutation ne eschaufîement du sacré Pantagruelion. Pour moins de cinquante mille escuz Bourdeloys amoderez à la douzième partie d'une pithe vous en aurez faict l'expérience. Ne me parragonnez poinct icy la salamandre, c'est abus. Je confesse bien que petit feu de paille la végète et resjouit, mais je vous asceure que en grande fournaise elle est, comme tout aultre animant, suf- foquée et consumée, nous en avons veu l'expérience. Galen l'avoit, long temps a, confermé et demonstré, Lib. 3, De temperamentis, et le maintient Diosco- rides, Lib. 2. Icy ne me alléguez l'alum de plume, ne la tour de boys en Pyrée, laquelle L. Syliane peut oncques faire brusler, pour ce que Archelaus, gouverneur de la ville pour le roy Mithridates, l'avoit toute enduicte d'alum. Ne me comparez icy celle arbre que Alexander Cornélius nommoit Eonem, et la disoit estre semblable au chesne qui porte le guy, Rabelais. III. 33 258 LIVRE III, CHAPITRE LIT et ne povoir estre ne par eau ne par feu con- sommée ou endommagée, non plus que le guy de chesne, et d'icelle avoir été faicte et bastie la tant célèbre navire Argos. Cherchez qui le croye, je m'en excuse. Ne me parragonnez aussi, quoj que mirificque soit, celle espèce d'arbre que voyez par les mon- tagnes de BriançonetAmbrun, laquelle de sa racine nous produit le bon agaric, de son corps nous rend la résine tant excellente que Galen l'ause eequi- parer à la terebinthine, sus ses feueilles délicates nous retient le fin miel du ciel, c'est la manne, et, quoy que gommeuse et unctueuse soit, est incon- sumptible par feu. Vous la nommez Larrix en Grec et Latin; les Alpinois la nomment Me/ze; les Ante- norides et Venitians, Larcge, dont feut dict La- rignuni le chasteau en Piedmont lequel trompa Jule Caesar venant es Gaules. Jule Caesar avoit faict commendement à tous les manens et habitans des Alpes et Piedmont qu'ilz eussent à porter vivres et munitions es estappes dressées sus la voie militaire, pour son oust passant oultre. Au quel tous feurent obéïssans, exceptez ceulx qui estoienl dedans Larigno, les quelz, soy confians en la force naturelle du lieu, refusèrent à la contribution. Pour les chastier de ce refus, l'em- pereur feist droict au lieu acheminer son armée. Davant la porte du chasteau estoit une tour bastie de gros chevrons de larix, lassez l'un sus l'autre PANTAGRUEL 259 alternativement comme une pyle de boys, conti- nuans en telle haulteur que des mâchicoulis facile- ment on povoit avecques pierres et liviers débouter ceulx qui approcheroient. Quand Csesar entendit que ceulx du dedans n'avoient aultres défenses que pierres et liviers, et que à poine les povoient ilz darder jusques aux approches, commenda à ses soubdars jecter au tour force fagotz et y mettre le feu. Ce que feut incontinent faict. Le feu mis es fagotz, la flambe feut si grande et si haulte, qu'elle couvrit tout le chasteau. Dont pensèrent que bien tost après la tour seroit arse et demollie ; mais, cessant la flambe et les fagotz consumez, la tour apparut entière, sans en rien estre endommagée. Ce que consyderant, Caesar commenda que, hors le jectdes pierres, tout au tour l'on feist une seine de fossez et bouclus. Adoncques les Larignans se rendirent à compo- sition, et par leur récit congneut Caesar l'admirable nature de ce boys, lequel de soy ne fait feu, flambe ne charbon, et seroit digne en ceste qua- lité d'estre on degré mis de vray Pantagruelion ; et d'autant plus que Pantagruel d'icelluy voulut estre faictz tous les huys , portes , fenestres , goustieres, larmiers et l'ambrun de Theleme. Pa- reillement d'icelluy feist couvrir les pouppes, prores, fougons, tillacs, coursies et rambades de ses car- racons, navires, gualeres, gualions, brigantins, fustes et aultres vaisseaulx de son arsenac de Tha- 260 LIVRE III, CHAPITRE LU lasse; ne feust que larix, en grande fournaise de feu provenant d'aultres espèces de boys, est enfin corrumpu et dissipé, comme sont les pierres en fourneau de chaulx; Pantagruelion asbeste plus tost y est renouvelé et nettoyé que corrompu ou altéré. Pour tant, Indes, cessez, Arabes, Sabiens, Tant collauder vos myrrhe, encent, ebene. Venez icy recongnoistre nos biens, Et emportez de nostre herbe la grene; Puis, si chez vous peut croistre, en bonne estrene Grâces rendez es Cieuix un million. Et affermez de France heureux le règne. On quel provient Pantagruelion. Fin du troisiesme Livre des faits et dicts heroïcques du bon Pantagruel. VARIANTES Nous suivons le texte de l'édition de Paris, Michel Fezen- dat, i5 52j petit in-S, et nous empruntons nos Variantes à l'édition de Paris, Chrestien Wechel, i5 56, in-S'^. Elle est désignée par la lettre A. Page 12, ligne 4. A : cuydé no% antiques r. — 60, 8. A : mocqueries, paronomasies, epanalepses et redictes. — 93, 8. A : six, — 93, 9. A : la septiesme. — 94, 27. A : rechignant. — 106, 9. A : surdité, quantes heures estoieni à i'horo- loge de la rocquette Tarpeïe. Elle. — 106, 24. A : à Brignoles. — I 20, 5. A : asne. — 1 2 1 , 4. A : asne. — 121, 20. A : asne. 139, 12. Dans A, cette liste est imprimée sur trois 262 VARIANTES colonnes et dans l'ordre suivant, qui est le meilleur : Escoute, Couillon mignon, Couillon moignon, Couillon de renom c. pâté, c. naté. c. plombé, c. laicté, c. feutré, c. calfaté. c. madré, c. relevé. c, de stuc, c. Grotesque, c. arabesques, c. asseré, c, troussé à la levresque, c. asceuré. c. garance. c. calandre, c. requamé. c. diapré. c. estamé. c. martelé, c. entrelardé. c. juré, c. bourgeois, c. grené. c. d'esmorche. c. endesvé, c. goildronné, c. palletoqué, c. aposté, c, lyrinipié, c. désiré, c. vernissé. c. d'ebene, c. de bresil, c. de bouys, c. de passe, c. à croc. c. d'estoc. c, effréné, c. forcené, c. affecté, c. entassé, c. compassé, c. farci. c. bouffy, c. polly, c. jolly, c, poudrebif. c. brandif, c. positif, c. gérondif, c. génitif. c. actif, c. gigantal. c. vital. c. oval, c. magistral, c. claustral, c. monacha!. c. viril, c. subtil, c. de respect, c. de relés, c. de séjour, c. d'audace. c. massif, c. lassif, c. manuel, c. goulu, c. absolu, c. résolu, c. membru, c. camus, c. gémeau, c. courtoys. c. turquoys, c. fécond, c. brislant, c. sifflant, c. estrillant, •c. gent, c. urgent, c. banier, c, luisant, c. duisant, c, brusquet, c, prompt, c. prinsaultier, c. fortuné, c, clabault, c. coyrault, c. usual, c. de haulte lisse, c exquis, c. requis, c. fallot, c. cuUot, c. picardent, c. de raphe, c. guelfe, c. ursin, VARIANTES c. patronimicque, c. pouppin, c. guespin. c. d'alidada, c. d'algamala. c. d'algebra. c. robuste. c. venuste. c. d'appétit, c. insuperable. c. secourable, c. agréable. c. mémorable, c. notable. c. palpable, c. musculeux, c. bardable. c. subsidiaire, c. tragique. c. satyricque, c. transpontin. c. repercussif, c. digestif. c. convulsif. c. incarnatif. c. restauratif, c. sigillatif. c. musculinant. c. ronssinant, c. refaict, c. fumilnant, c. tonnant, c. estincelant. c. martelant, c. arietant, c. strident. c. aromatisant. c. diaspermatisant, c. timpant, c. pimpant. c. ronflant, c. paillard. c. pillard. c. gaillard. c. hochant. c. brochant. c. talochant. c. farfouillant. c. belutant. c. culbutant. t63 Couillon hacquebutant, couillon culletant, frère Jan, etc Page 144, 19. A : troglodyte, braguettodyte, en. — 149, 16. Dans A, ce passage, évidemment écrit comme la liste analogue du chapitre précédent, pour être imprimé sur trois colonnes, est disposé de la manière sui- vante : Couillon flatry, Couillon moisy, Couillon rouy, Couillon chaumeny, Couillon transy, Couillon poitry d'eau froide, Couillon pendillant. c. avallé. c. gavaché. fené, hallebrené, embrené, c. c. c. esgrené, lanterné, engroué, esrené, prosternéj amadoué. ecremé, chetif, moulu, courbatu. c. c. c. c. exprimé, rétif, vermoulu, morfondu. supprimé, putatif, dissolu, malautru, 2( M VARIANTES dyscracié, biscarié, disgratié, liegé, fiacqué, diaphane, esgoutté, desgousté. avorté. escharbotté, eschalloté, hallebotté, mitre. chapitré, syndicqué. baratté. chicquané. bimbelotté, eschaubouillé, entouillé. barbouillé, vuydé. riddé. chagrin. bave, démanché, raorné. véreux, pesneux. vesneux. forbeu, malandré. meshaigné, thlasié, thibié. spadonicque, sphacelé. historié. deshinguandé, farcineux, hergneux. varicqueux, croustelevé, escloppé, dépenaillé. franfreluché, matté. frelatté. guoguelu, farfelu. trepelu, trépané, boucané. basané. effiUé, eviré, vietdazé, feuilleté, fariné. mariné. etrippé, constippé^ nieblé, greslé, syncopé. ripoppé. souffleté, buffeté, dechicqueté. corneté, ventouse, talemousé, fusté, poulsé. de godalle. frilleux, fistuleux. scrupuleux, mortifié. maleficié. rance, diminutif. usé, tintalorisé. quinault. marpault, matagrabolisé. rouillé, macéré, indague, paralyticque. antidaté. dégradé, manchot. perclus. confus, de ratepenade. maussade, de petarrade, acablé, halle. assablé. dessiré. désolé, hebeté, décadent, cornant. solœcisant, appellant, mince. barré, assassiné, bobelinë, devalizé. VARIANTES 26^ c. c. c. engourdely, c. anonchaly, c. aneanty, de matafain, c. de zéro, c. badelorié, frippé, c. extirpé, c. deschalandé, Couillonnas Panurge, etc. — 178, 21. A : par Fonshevrault, feut. — 181, 8-9. A : de picques noires. - 182, 12. A : Chapitre XXXIV. — 186, 20, A : Me doibs je marier? — 186, 28. A : en robbe, cela. — 188, 20. A : Par la chair, je renie, je renonce. Il m'eschappe. — 195, 20. A : Les deux colonnes de cette ligne et les deux suivantes sont remplacées par ; f. royal. f. synodal, — 200, I 2-1 3. A: biscentumvirale. — 222, 3. A : l'affection des ^nvings et miTatrei envers. — 2 36. 2 5. A: Nourrir et en ahe les entretenir. TABLE DU LIVRE TROISIÈME Pages. Privilège du Roy 3 Prologue de l'autheur 7 Chapitre I. Comment Pantagruel transporta une co- lonie de Utopiens en Dipsodie 19 Chapitre II. Comment Panurge feut faict chastellain de Salmiguondin en Dipsodie, et mangeoit son bled en herbe 2 5 Chapitre III. Comment Panurge loue les debteurs et emprunteurs 3 1 Chapitre IV. Continuation du discours de Panurge, à la louange des presteurs et debteurs 37 Chapitre V. Comment Pantagruel déteste les deb- teurs et emprunteurs . 42 Chapitre VI. Pourquoy les nouveaulx mariés estoient exemptz d'aller en guerre 4 S 268 TABLE Pages, Chapitre VII. Comment Panurge avoit la pusse en l'aureille, et désista porter sa magnifîcque braguette. 48 Chapitre VIII. Comment la braguette est première pièce de harnois entre gens de guerre 5 2 Chapitre IX. Comment Panurge se conseille à Panta- gruel pour sçavoir s'il se doibt marier 5 6 Chapitre X. Comment Pantagruel remonstre à Pa- nurge difficile chose estre le conseil de mariage, et des sors Homériques et Virgilianes 60 Chapitre XI. Conmient Pantagruel remonstre le sort des dez estre illicite 64 Chapitre XII. Comment Pantagruel explore par sors Virgilianes quel sera le mariage de Panurge ... 67 Chapitre XIII. Comment Pantagruel conseille Panurge prévoir l'heur ou malheur de son mariage par songes 72 Chapitre XIV. Le songe de Panurge et interprétation d'icelluy 79 Chapitre XV. Excuse de Panurge et exposition de Ca- balle monasticque en matière de beuf salé .... 85 Chapitre XVI. Comment Pantagruel conseille à Pa- nurge de conférer avecques une sibylle de Panzoust. 89 Chapitre XVII. Comment Panurge parle à la sibylle de Panzoust 9 3 Chapitre XVIII, Comment Pantagruel et Panurge di- versement exposent les vers de la sibylle de Pan- zoust 97 Chapitre XIX. Comment Pantagruel loue le conseil des muetz io3 Chapitre XX. Comment Nazdecabre par signes res- pond à Panurge . 108 TABLE 269 Pages. Chapitre XXI. Comment Panurge prent conseil d'ung vieil poëte françois nommé Rarainagrobis i i 3 Chapitre XXII. Comment Panurge patrocine à l'or- dre des fratres Mendians 118 Chapitre XXIII . Comment Panurge faict discours pour retourner à Raminagrobis 121 Chapitre XXIV. Comment Panurge prend conseil de Epistemon 127 Chapitre XXV. Comment Panurge se conseille à Her Trippa i32 Chapitre XXVI. Comment Panurge prent conseil de frère Jan des Entommeures 189 Chapitre XXVII. Comment frère Jan joyeusement conseille Panurge 144 Chapitre XXVIII. Comment frère Jan reconforte Pa- nurge sus le doubte du coqiiage 147 Chapitre XXIX. Comment Pantagruel faict assemblée d'un théologien, d'un medicin, d'un légiste et d'un philosophe, pour la perplexité de Panurge .... i55 Chapitre XXX. Comment Hippothadée, théologien, donne conseil à Panurge sur l'entreprinse de ma- riage. , i58 Chapitre XXXI. Comment Rondibilis, medicin, con- seille Panurge 162 Chapitre XXXII. Comment Rondibilis declaire co- qiiage estre naturellement des apennages de ma- riage 169 Chapitre XXXIII. Comment Rondibilis, medicin, donne remède à coqiiage 174 Chapitre XXXIV. Comment les femmes ordinairement appetent choses défendues . . 178 270 TABLE Pages. Chapitre XXXV. Comment Trouillogan, philosophe, traicte la difficulté de mariage 182 Chapitre XXXVI. Continuation des responses de Trouillogan, philosophe ephectique et pyrrhonien . i85 Chapitre XXXVII. Comment Pantagruel persuade à Panurge prendre conseil de quelque fol ... . i 90 Chapitre XXXVIII. Comment par Pantagruel et Pa- nurge est Triboullet blasonné -. . . . 194 Chapitre XXXIX. Comment Pantagruel assiste au ju- gement du juge Brid'oye, lequel sententioit les pro- cès au sort des dez 200 Chapitre XL. Comment Brid'oye expose les causes pourquoy il visitoit les procès qu'il decidoit par le sort des dez 204 Chapitre XLI. Comment Brid'oye narre l'histoire de de l'Apoincteur de procès 208 Chapitre XLII. Comment naissent les procès, et com- ment ilz viennent à perfection 2 i 3 Chapitre XLIII. Comment Pantagruel excuse Brid'oye sus les jugemens faitz au sort des dez 218 Chapitre XLIV. Comment Pantagruel racompte une estrange histoire des perplexitez du jugement hu- main . 221 Chapitre XLV. Comment Panurge se conseille à Tri- boullet 225 Chapitre XLVI. Comment Pantagruel et Panurge di- versement interprètent les parolles de Triboullet . 229 Chapitre XLVII. Comment Pantagruel et Panurge dé- libèrent visiter l'Oracle de la Dive Bouteille ... 281 Chapitre XLVIII. Comment Gargantua remonstre n'estre licite es enfans soy marier sans le sceu et adveu de leurs pères et mères 234 TABLE 271 Pages. Chapitre XLIX. Comment Pantagruel feist ses apretz pour monter sus mer, et de l'herbe nommée Panta- gruelion '. 240 Chapitre L. Comment doibt estre préparé et mis en œuvre le célèbre Pantagruelion .......... 244 Chapitre LI. Pourquoi est dicte Pantagruelion, et des admirables vertus d'icelle 248 Chapitre LU. Comment certaine espèce de Pantagrue- lion ne peut estre par feu consommée 2 5 5 A PARIS DES PRESSES DE D. JOUAUST Imprimeur breveté Rue Saint-Honoré, 338 PETITE BIBLIOTHEQUE ARTISTIQUE OU\- RAGES A GHAVURES Tirage in-i6 à petit nombre sur pai>icr de Hollande, plus 2 5 exemplaires sur papier de Chine et 2 5 sur papier Whatman. Tirage en GRAND PAPIER (in-8") : 170 exemplaires sur papier de Hollande, i5 pap, de Chine, i5 pap. Whatman. HEPTAMÉRON de la Reine de Navarre, avec les grav. de Flameng. 8 fascicules. Épuisé. DÉCAMÉRON de Boccace , avec les grav. de Fi.AMENG. 10 fascicules in- 16. Épuisé. CENT NOUVELLES NOUVELLES, dessins de J. Garnier, grav. àl'eau-forte par Lalauze, ou repro- duits par l'héliogravure. 10 fascicules in- 16 . 5o fr. Format in-S*^ 80 fr. Exemplaires Chine et Whatman dans les deux formats. MANON LESCAUT, gr.d'HÉDouiN.2 vol. 25 fr. GULLIVER (Les Quatre Voj^ages de), avec les gravures de Lal.auze. 4 vol. in-i6 3o fr. Format in-8" 5o fr. Exempl. Chine de l'in-iô, et Whatman des deux formats. VOYAGE SENTIMENTAL, de Sterne, avec gra- vures d'HÉDOuiN 2 5 fr. RABELAIS. Les Cinq Livres, avec les gravures de Boii.viN 5o fr. Sur Chine ou sur Whatman 100 fr. PERRAULT (Contes de), avec les gravures de Lalauze. 2 vol 3o fr. Sous pirssr : CONTES RÉMOIS, avec les des- sins de WoRMs, gravés par Rajon. Nota. — S'adresser à la librairie des Bibliophiles, rue Saint- Hoiioré, 3 38, pow connaître les conditions auxquelles on pour- rait se procurer les ouvrages épuisés. Mar^ 1 ^ ' - . »>Y' /^' ''rnF^i ^^r^ 25^^^ ?^^^^^^S "^^^^^S ^M ^^s ^^ Rabelais, Tranjois Les cinq livres PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY r:»Ki >Jt>J ^^v:.' •^.5^:- ^■^■•:^